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Ces jours-ci, on s’émeut du sort des personnes âgées. On se désole devant des détails morbides: des cabarets de nourriture laissés au sol, des préposés déserteurs, des auxiliaires dépourvues et d'ignobles commerçants de l'agonie. Réalité aujourd'hui «inacceptable»: couches pleines, literie souillée, ongles sales et cheveux gras, comme si c’était nouveau. Les vieux, les pauvres vieux, on s’en fout depuis si longtemps! On les a largués définitivement avec la Révolution tranquille. Liquidation du passé et de ceux qui appréciaient la Soirée canadienne, Maurice Richard et le thé Salada. Ceux d’avant la modernité, les enfants-rois , les femmes tatouées et les hommes menstrués. On les a «placés». Comme les handicapés et les malades mentaux. Dans de vieux couvents, des collèges abandonnés, des presbytères sans curé, des monastères fantomatiques. Et des motels vacants, pourquoi pas... On les parque trois fois plus qu’ailleurs au Canada. C’est gênant pour les champions du progressisme; on parle de «choix antérieurs», de vagues «facteurs sociétaux»... Ayant rendez-vous dans un établissement d’un âge certain, me trompant d’étage, derrière deux grandes portes battantes, j’ai revu le spectacle qui m’avait frappé, jadis, jeune journaliste naïf... Ils étaient combien, ces vieux en fauteuil roulant? Trente, peut-être. Pêle-mêle, les uns dans les autres, comme des autos tamponneuses. Un enchevêtrement de roues, d'accoudoirs et de solutés bringuebalants sur leur perche. Immobiles, résignés ou exaspérés. Certains geignaient, d’autres s’exclamaient à travers le tapage de la télé.
Têtes sur l’épaule ou sur la poitrine. Bouches béantes, salive et cheveux en bataille, odeur d’urine, de sueur et de pommade. La plupart ne disaient rien. Ils avaient été mis devant une vieille télé, massive, plantée au mur, à l’autre bout de la salle. En regardant l’écran, j’ai saisi l’ampleur du mépris. Il n’y avait rien à regarder. Pas d’image, mais un barbouillis psychédélique. On entendait la voix d’un animateur qui rigolait comme rigolent tous les animateurs, pour rien, comme des idiots; ce qui explique encore un peu plus le succès de Netflix... Autrement, il n’y avait rien à voir. Que des éclairs de couleur zébrant l’écran. Des éclairs se tortillant, déroulés de bas en haut, comme des serpents rouges, verts, mauves. Et par-dessus, le rire idiot des faux drôles. Les vieux avaient donc été rassemblés là et placés devant une télé déréglée... Ça ne fait pas très longtemps, quatre ans peut-être. Et chaque fois que je passe devant cet édifice, cette scène me revient à l’esprit. Comme cette autre, tout à fait similaire, vécue il y a beaucoup plus longtemps. J’avais quoi, 25, 26 ans? Un centre d’accueil public, banal. Encore des vieux en fauteuil roulant. Vingt, trente... On les avait placés devant un aquarium... Je n’ai jamais oublié ce petit homme, qui m’agrippa le bras : « Monsieur! Faites-moi sortir, je veux aller voir ma femme, je dois aller honorer ma femme »... Certains suivaient les poissons rouges du regard, d’autres étaient manifestement partis en eux-mêmes, pour fuir peut-être cet ancien couvent... Au fil des ans, la comédie dramatique s’est raffinée: on a envoyé des clowns dans les CHSLD. C'était drôle pour les autres, payant pour les clowns. On a ensuite testé des phoques mécaniques en peluche, achetés au Japon, 6 000$ pièce. Ça aussi, c'était drôle, au Salon bleu... Un esprit sain pourrait faire un parallèle entre ce qui se passe dans les CHSLD (en temps de coronavirus COVID-19) et ce qui arrive dans les urgences en hiver, quand frappe la grippe, la gastro ou la picote. C’est dans la tradition, absurde celle-là aussi, de partir dans le Sud, peu importe que le pauvre connard fiscalisé doive attendre un peu plus longtemps le Messie... C'est comme laisser par terre le plateau-repas d’un vieux dont la mort, à vrai dire, importe peu.
Michel Hébert écrit : Mourir dans son coin, comme un chien, ça arrive ici. Crever parce qu’une mégère bien avisée lui refuse l’accès à l’urgence, ça arrive au citoyen lambda. Quand une enfant maltraitée meurt sous le nez des bigleux du logiciel de «soutien à la pratique», on accuse le coup, mais on n’accuse personne. Sylvie-e écrit : Les réseaux de santé public ou privé conventionné ne diffèrent pas de la pratique d’entreprise privée, reconnue désormais comme une personne morale. Le responsable de dommages collatéraux est devenu l’entreprise et non la direction, ni le conseil d’administration caché sous le voile corporatif, ni ceux à l’emploi. Personne ne veut être responsable, les conséquences sont désastreuses. MH : Comme le syndicat de Panurge, on retourne en bloc au téléroman des programmes sociaux, convaincus d’être tout de même ce que l’humanité fait de mieux... S-e : J’ajouterais que tout organisme ou entreprise se dote d’une mission et d’actions pour entreprendre et que les humains, à son service, interprètent selon ses propres convictions. Ici et aujourd'hui, l’éthique et l’honneur s’étriquent. Il en est de même pour les journalistes qui, pour sauver leur gagne-pain, sont contraints ou achètent la vision de leur employeur ou d’une agence de presse. MH : Ainsi va la vie dans la Belle Province. Ces jours-ci, on s’émeut du sort des personnes âgées. On se désole devant des détails morbides: des cabarets de nourriture laissés au sol, des préposés déserteurs, des auxiliaires dépourvues et d'ignobles commerçants de l'agonie. Réalité aujourd'hui «inacceptable»: couches pleines, literie souillée, ongles sales et cheveux gras, comme si c’était nouveau. S-e : La peur de la COVID-19 éveille la peur de la mort; le sens éthique du serment d’Hippocrate s’étiole. La relation personnelle exiguë avec cette éventualité rend «inacceptable» pour des employés.es assignés aux soins de perdre sa vie à la gagner. MH : Les vieux, les pauvres vieux, on s’en fout depuis si longtemps! S-e : Les vieux!
Ceux que la vie a dépourvu de santé, de ressources
pécuniaires, de bâton de vieillesse? Les vieux ! Ceux qui choisissent de vivre en résidence pour personnes autonomes ou semi-autonomes et qui prient de ne pas dépérir au point de se retrouver dans un CHSLD? MH : On les a largués définitivement avec la Révolution tranquille. Liquidation du passé et de ceux qui appréciaient la Soirée canadienne, Maurice Richard et le thé Salada. Ceux d’avant la modernité, les enfants-rois, les femmes tatouées et les hommes menstrués. S-e : Combien d’entre eux étaient sans ressource, souvent en perte d’autonomie ? Le problème n’est pas que ces vieux soient en institution, mais la façon dont ils vivent en institution. Plusieurs propriétaires misent sur le développement, n’oublions jamais que le but d’une entreprise privée est de faire de l’argent que ce soit par le biais de pauvres vieilles gens ou de soins, elle veut votre bien et sait comment l’obtenir. Leur intention et leur marketing sont les fleurons de leur faire-valoir. L’histoire de la santé au Québec a toujours fonctionné à deux vitesses. Avant les années 1950, ceux qui avaient droit à l’intimité et des traitements de faveur, par exemple un pamplemousse bien découpé pour déjeuner, avaient aussi les moyens de se l’offrir. Les plus démunis étaient entassés dans des dortoirs à 12 personnes et devaient être heureux de ne pas être à la rue.
Combien de vieux étaient sans
famille ou avec une famille démembrée? La société a été preneuse des biens véhiculés par le marketing des industries. Persuasives, elles ont contribué à changer une société familiale en une société de consommateurs. Les parents ont fait ce qu’ils ont pu avec ce qu’ils avaient, me direz-vous. Je réponds que les enfants ont fait avec ce que leurs parents leur ont donné et, à moins d’élever sa conscience et sa connaissance de la vie, ces enfants deviendront adultes, parents dans le même ordre d’idée que leurs aïeux. MH : On les a «placés». Comme les handicapés et les malades mentaux. Dans de vieux couvents, des collèges abandonnés, des presbytères sans curé, des monastères fantomatiques. S-e : Pas comme, mais avec des personnes handicapées physiques, avec des personnes aux prises avec des maladies mentales, tous étaient regroupés pour que cela coûte moins cher aux contribuables. MH : Et des motels vacants, pourquoi pas... On les parque trois fois plus qu’ailleurs au Canada. C’est gênant pour les champions du progressisme; on parle de «choix antérieurs», de vagues «facteurs sociétaux»... S-e : À la Presse, les journalistes André Dubuc et Isabelle Dubé écrivent aussi : « La proportion de la population de personnes de 75 ans et plus vivant dans les résidences privées pour personnes âgées en 2019 au Québec est estimée à 18,4 %, la plus élevée au Canada, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). En excluant le Québec, le taux d’attraction moyen dans le reste du Canada n’est que de 6,1 %. Les ménages de 75 ans et plus du reste du Canada sont locataires à 24 %, comparativement à 40 % au Québec... Un grand pourcentage de ménages âgés dans les autres provinces canadiennes sont donc encore propriétaires de leur logement, ce qui est beaucoup moins le cas pour le Québec », écrit la SCHL dans un récent rapport sur l’état du marché de la résidence spécialisée.» Il faut différencier les résidences pour personnes âgées autonomes et semi-autonomes et les CHSLD. Bien que certains puissent se permettre d’habiter en leur lieu grâce au "programme-services Soutien à l'autonomie des personnes âgées du gouvernement du Québec", je suppose que les personnes âgées autonomes et semi-autonomes qui choisissent, pour la plupart, une résidence privée ou semi-privée, ont les moyens de payer. Effet de culture ou de désir de se retrouver parmi ses semblables d’une même génération, d’un mode de vie similaire plus tranquille, moins d'entretien que dans un "bungalow" et qui sied à une personne vieillissante? Pour habiter un CHSLD, la perte d’autonomie physique, voire financière, est évidente et désarmante. MH : Ayant rendez-vous dans un établissement d’un âge certain, me trompant d’étage, derrière deux grandes portes battantes, j’ai revu le spectacle qui m’avait frappé, jadis, jeune journaliste naïf... Ils étaient combien, ces vieux en fauteuil roulant? Trente, peut-être. Pêle-mêle, les uns dans les autres, comme des autos tamponneuses. Un enchevêtrement de roues, d'accoudoirs et de solutés bringuebalants sur leur perche. S-e : Pour avoir visité un CHSLD de Montréal où des personnes semi-autonomes ou handicapées, mais lucides cohabitaient avec celles démunies mentalement, mon désarroi fut qu’elles n’avaient pas droit à une intimité parce qu’elles étaient regroupées à 3 dans une chambre étroite et n’avaient aucune activité correspondant à leurs potentiels. Télé et promenades à l’étage étaient leurs seuls loisirs, mis à part quelques visites. Alors qu’elles seraient aptes à quelques activités sociales tel le jardinage intérieur par exemple. L’ennui est ce qui tue l’être humain. Pour s’occuper de personnes non autonomes physiquement et mentalement, un savoir-être et savoir-faire sont des atouts impératifs. Personnellement, je ne me vois pas assurer les bains, les soins particuliers, veiller à la détresse mentale d’une personne tout en assurant ma propre survie, je ne possède pas les qualités et les qualifications inhérentes à ces services. Demandons aux proches aidants, comment se vit leur quotidien? Je me souviens de ma grand-mère aux prises avec la maladie de Parkinson et de mon grand-père, incapable de pourvoir ni aux besoins de sa femme ni aux besoins domestiques, s’installer dans une résidence que je voyais, enfant, comme un hôpital. Il était joyeux, mon grand-père, sa femme recevait les soins essentiels, et lui se plaisait à vivre en société avec les gens de sa génération, ce qui lui paraissait beaucoup moins déroutant que la vie trépidante de l’époque. Tous leurs enfants (18 au total) auraient aimé les voir dans un autre environnement, mais comment auraient-ils pu? Demandez aux aides-soignants d’aujourd’hui, quelle abnégation cela exige d’une personne qui doit elle-même se préparer à vivre vieille. Est-ce vraiment les vieux que l’on rejette ou notre propre peur de vieillir, de mal vieillir? Alors quelles solutions devons-nous apporter à une société consumériste qui a cru et croit toujours à la primauté de l’argent sur la valeur humaine? À l’instar des mégas hôpitaux, des mégas entreprises, des mégas institutions d’enseignement, des mégas fermes agricoles, les CHSLD se déshumanisent et empilent dans le même édifice par nécessité budgétaire toutes les personnes ne pouvant s’offrir davantage. Pendant ce temps, les citoyens réclament de payer moins d’impôt et de taxes. MH : C’est dans la tradition, absurde celle-là aussi, de partir dans le Sud, peu importe que le pauvre connard fiscalisé doive attendre un peu plus longtemps le Messie... C'est comme laisser par terre le plateau-repas d’un vieux dont la mort, à vrai dire, importe peu. S-e : La crise actuelle de la COVID-19 démontre bien les lacunes déshumanisantes auxquelles notre système capitaliste fait face. Les consommateurs préfèrent faire prévaloir leurs désirs au lieu de leurs besoins réels et ceux de leurs proches. Dans le sauve-qui-peut chacun pour soi, des employés désertent, des médecins trahissent le serment d’Hippocrate qui accompagne leur License en médecine, des gestionnaires revoient à la baisse le financement, imposent à leurs employés des horaires coupés et des salaires ingrats pour plaire aux conseils d’administration et tout le monde s’indigne des grands titres des journaux et continue de rêver à moins de taxes et d’impôts. Après tout, nous n’avons qu’une vie à vivre… beau slogan publicitaire… non?
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