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Il y a un an ou deux, j’ai vu ce film de science-fiction "Interstellar" (au Québec "Interstellaire") qui fit tant parler de lui, et, même si le scénario n’était pas très bon, une des scènes du début était assez amusante. Pour différentes raisons, le gouvernement états-uniens du futur avait déclaré que l’alunissage de la fin des années 1960 était un faux, un truc fait pour gagner la guerre froide en tentant de mener la Russie à la faillite en la poussant à faire d’inutiles efforts pour tenter le même exploit. Cette inversion de la réalité était acceptée comme vraie par presque tout le monde et les rares personnes prétendant que Neil Armstrong avait vraiment posé le pied sur la Lune étaient ridiculisées devant tout le monde en étant traitées de conspirationnistes.
Au contraire, l’utilisation de ce terme si chargé est réservée à ces théories, qu’elles soient plausibles ou difficiles à croire, qui ne sont pas approuvées par l'élite gouvernante. J’ai souvent plaisanté avec les gens en disant que si la propriété et le contrôle de nos télés et journaux changeaient soudainement, le nouveau régime médiatique n’aurait besoin que de quelques semaines pour totalement inverser toutes ces fameuses théories conspirationnistes dans l’esprit du crédule public états-unien.
Dans les semaines et mois qui ont suivi l’attentat du 11 septembre 2001, tous les médias états-uniens se sont empressés de dénoncer et diaboliser Oussama Ben Laden, le soi-disant maître d’œuvre islamiste, en le présentant comme l’ennemi numéro 1, avec son visage barbu apparaissant sans fin à la télévision ou imprimé dans les journaux, devenant vite un des visages le plus reconnus au monde. Mais, alors que l’administration Bush et ses alliés médiatiques préparaient une guerre contre l’Irak , des images des tours en feu étaient juxtaposées à des photos du moustachu Saddam Hussein, ennemi mortel de Ben Laden. En conséquence, au moment de l’invasion de l’Irak en 2003, les sondages montraient que 70% du public états-unien croyait que Saddam Hussein était personnellement impliqué dans la destruction du World Trade Center. À ce moment, aucun doute que des millions d’États-Uniens patriotes, mais sous-informés auraient diabolisé et traité avec colère de conspirationniste quiconque aurait la témérité de suggérer que Saddam n’était peut-être pour rien dans le 11 septembre 2001, même si aucune autorité n’avait explicitement fait une telle fausse déclaration. Ces principes de manipulation médiatique m’occupaient souvent l’esprit il y a quelques années quand je suis tombé sur un livre court, mais fascinant publié par le journal académique de l’université du Texas. L’auteur de la « Théorie de la conspiration aux États-Unis » est le professeur Lance DeHaven-Smith, un ancien président de l’ Association pour la science politique de Floride. Basée sur d’importantes révélations par la FOIA [Freedom of Information Act, loi pour la liberté d’information, NdT], la révélation du livre était que la CIA était probablement responsable de la large dissémination du concept de théorie de la conspiration comme terme de manipulation politique, ayant orchestré ce développement comme un moyen d’influencer l’opinion publique. Le milieu des années 1960 a connu une augmentation du scepticisme public à propos de la commission Warren qui avait trouvé qu’un tireur solitaire, Lee Harvey Oswald, était le seul responsable de l’assassinat du président Kennedy, de plus en plus de gens pensant que de hauts dirigeants états-uniens étaient aussi impliqués.
Le résultat en fut une large augmentation dans l’utilisation péjorative de la phrase, qui s’est répandue dans les médias états-uniens et dont l’impact continue jusqu’à maintenant. Il existe donc la preuve qui soutient cette conspiration bien spécifique de la part de la CIA, expliquant l’apparition soudaine et à grande échelle des attaques sur les théoriciens de la conspiration dans les médias grand public. Mais même si la CIA apparaît comme ayant effectivement manipulé l’opinion publique de façon à transformer le concept de théorie de la conspiration en un outil de combat idéologique, l’auteur décrit aussi comment l’arrière-plan philosophique avait déjà été préparé une vingtaine d’années plus tôt. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un changement important en théorie politique a causé une forte baisse de respectabilité à l’égard de toute explication conspirationniste d’événements historiques. Des dizaines d’années avant ce conflit, un de nos plus réputés et brillants universitaires et figure intellectuelle était l’historien Charles Beard, dont la pensée influente s’était focalisée sur le rôle néfaste de plusieurs théories conspirationnistes dans la structuration de la politique états-unienne, au bénéfice de l’élite et aux dépens du public, avec des exemples allant des débuts de l’histoire états-unienne jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Évidemment, les chercheurs n’ont pas prétendu que tous les événements historiques majeurs avaient des causes cachées, mais il était largement accepté que quelques-uns en avaient et essayer de rechercher ces possibilités était considéré comme un travail académique acceptable. Pourtant, Beard fut un opposant virulent à l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, il fut donc marginalisé dans les années qui ont suivi et jusqu’à sa mort en 1948. De nombreux autres intellectuels de tendance similaire ont subi le même destin et ont même perdu toute respectabilité, se voyant refuser tout accès aux médias. Parallèlement, les idées totalement opposées de deux philosophes politiques européens, Karl Popper et Léo Strauss, s’imposaient petit à petit dans les cercles intellectuels états-uniens et leurs idées devinrent dominantes dans la vie publique. Popper, celui ayant le plus d’influence, a présenté des objections théoriques mettant en doute le fait même que d’importantes conspirations puissent exister en suggérant qu’il serait impossible de les mettre en place, étant donné la faillibilité de l’agent humain. Ce qui apparaît comme une conspiration n’est en réalité que des agents individuels poursuivant leurs étroits objectifs. Encore plus, il considérait les croyances conspirationnistes comme une maladie sociale extrêmement dangereuse, un facteur majeur dans le développement du nazisme et d’autres idéologies totalitaires. Sa propre histoire de descendant juif ayant fui l’Autriche en 1937 a sûrement contribué à la profondeur de ses sentiments sur ces sujets philosophiques. De même, Strauss, une figure fondatrice de la pensée néoconservatrice actuelle, était également très dur dans ses attaques contre l’analyse conspirationniste, mais pour des raisons totalement opposées. Dans son esprit, les conspirations élitistes étaient absolument nécessaires et bénéfiques, une défense sociale cruciale contre l’anarchie et le totalitarisme, mais leur efficacité dépendait évidemment du fait de bien les cacher aux yeux curieux des masses ignorantes. Son principal problème vis-à-vis des théories de la conspiration n’était pas qu’elles étaient fausses, mais qu’elles étaient souvent vraies et que leur révélation pouvait potentiellement gêner le bon fonctionnement de la société. Donc, par légitime défense, les élites devaient activement supprimer ou au moins empêcher les enquêtes non autorisées au sujet de conspirations suspectées. Même pour les États-Uniens les plus éduqués, des théoriciens comme Beard, Popper et Strauss ne sont probablement que de vagues noms aperçus dans les manuels scolaires, et c’était certainement mon cas. Mais alors que l’influence de Beard semble avoir largement disparu dans le cercle des élites, ce n’est pas du tout le cas de ses rivaux.
Donc, par ce mélange d’influence poppérienne et straussienne, la tendance traditionnelle états-unienne à considérer les conspirations des élites comme un aspect réel et dangereux de notre société a été petit à petit stigmatisée en étant étiquetée soit comme paranoïaque soit comme politiquement dangereuse, mettant en place les conditions de son exclusion des discours respectables. En 1964, cette révolution intellectuelle était quasiment achevée, comme le montrent les réactions totalement positives au fameux article écrit par l’analyste politique Richard Hofstadter qui critiquait le soi-disant «style paranoïaque» de la politique états-unienne, qu’il dénonçait comme étant la cause sous-jacente à la croyance populaire répandue en d’improbables théories conspirationnistes. Il attaquait souvent des hommes de paille, racontant et ridiculisant les croyances conspirationnistes les plus ridicules, tout en ignorant celles qui s’étaient révélées vraies. Il a, par exemple, raconté comment les plus hystériques des anticommunistes avaient prétendu que des dizaines de milliers de soldats de l’Armée rouge chinoise se cachaient au Mexique pour préparer une attaque sur la ville de San Diego , alors même qu’il n’a pas reconnu que pendant des années des espions communistes avaient réellement officié aux plus hauts niveaux du gouvernement états-unien. Même l’esprit le plus conspirationniste reconnaît que les théories conspirationnistes proposées ne sont pas toutes vraies, mais que seulement certaines d’entre elles peuvent l’être.
Toute conspiration responsable d’événements publics importants devait sûrement impliquer plusieurs agents ou groupes, dans plusieurs endroits, impliquant au moins 100 personnes. Et donc, étant donné la nature imparfaite de toute tentative de secret, il devait donc être impossible que tout cela puisse rester totalement caché. Même si une conspiration pouvait rester cachée à 95%, cinq indices majeurs resteraient encore visibles pour les enquêteurs. Alors, lorsque l’essaim de journalistes d’investigation le remarquerait, de tels signes de conspiration ne manqueraient pas d’attirer les autres journalistes et enquêteurs et les feraient remonter jusqu’à la source, révélant encore d’autres indices et preuves jusqu’à ce que la conspiration soit totalement dévoilée. Et même si tous les faits n’apparaissaient pas au grand jour, on pourrait au moins tirer la conclusion qu’il y a vraiment une sorte de conspiration. Mais cette sorte de raisonnement comporte une affirmation tacite dont j’ai, depuis, réalisé qu’elle est complètement fausse. Évidemment, de nombreuses conspirations potentielles impliquent soit des fonctionnaires haut placés soit des situations dont la révélation représenterait une source d’embarras considérable pour ces individus. J’ai toujours pensé que même si le gouvernement échoue donc dans son rôle d’enquêteur, les acteurs du 4e pouvoir débarqueraient inévitablement, cherchant sans arrêt la vérité, la reconnaissance et le prix Pulitzer. Hélas, lorsque j’ai progressivement réalisé que nos médias n’étaient rien d’autre qu’une Pravda états-unienne et l’étaient peut-être même déjà depuis des dizaines d’années, j’ai commencé à réaliser la faille dans ma logique. Car si ces cinq, dix ou vingt indices étaient simplement ignorés par les médias, par paresse, incompétence ou vénalité, il n’y aurait alors plus rien pour empêcher que les conspirations puissent se réaliser et rester non dévoilées, peut-être même les plus évidentes et les plus mal faites.
Faisons une simple expérience mentale. Pour différentes raisons, les médias états-uniens sont, de nos jours, extraordinairement hostiles à la Russie, certainement bien plus encore qu’à l’époque de l’Union soviétique dans les années 1970 et 1980. Par conséquent, je dirais que les possibilités d’une conspiration russe se déroulant dans la zone d’opération de ces médias sont virtuellement nulles. Pourtant, nous sommes bombardés d’histoires de prétendues conspirations russes qui semblent être des faux positifs, d’horribles allégations ne reposant visiblement sur aucune base factuelle ou étant même totalement ridicules.
Un point de bascule dans la nouvelle Guerre froide contre la Russie fut le vote, en 2012, de la loi Magnitsky par le Congrès des États-Unis, cherchant à punir plusieurs soi-disant fonctionnaires russes corrompus pour leur implication présumée dans la persécution et l’assassinat d’un employé de Bill Browder, un directeur de fonds de pension états-unien ayant fait de gros investissements en Russie. Pourtant, il existe des preuves convaincantes que Browder lui-même fut le cerveau et le bénéficiaire de ce gigantesque détournement de fonds et que son employé prévoyait de témoigner contre lui et craignait donc pour sa vie. Évidemment, les médias états-uniens n’ont quasiment pas mentionné ces remarquables révélations concernant ce qui ressemble à un gigantesque traquenard géopolitique. L’apparition d’internet et la vaste prolifération de sites de médias alternatifs, dont le mien, ont, jusqu’à un certain point, changé cette situation déprimante. Il n’est donc pas surprenant de constater que les discussions dominant ces sites concernent les sujets régulièrement condamnés comme des théories de la conspiration de dingues par nos médias grand public. De telles spéculations doivent certainement irriter et inquiéter le gouvernement qui s’est longtemps appuyé sur la complicité dont il tire profit de la part des médias pour permettre leurs actes malfaisants de se dérouler sans être remarqués ni punis. Effectivement, il y a quelques années de cela un fonctionnaire de l’administration Obama prétendait que la libre discussion sur internet à propos des théories conspirationnistes était potentiellement dangereuse et que le gouvernement devrait embaucher des agents pour infiltrer cognitivement ces sites et tenter de les interrompre, proposant ainsi une variante haute technologie des très controversées opérations Cointelpro mises en place par le FBI de J. Edgar Hoover.
Beard avait donc probablement raison en reconnaissant la respectabilité des théories conspirationnistes, et nous devrions revenir à la manière de penser traditionnelle états-unienne, malgré la propagande sans fin menée par la CIA et d’autres afin de nous persuader que nous devrions considérer de telles notions comme ne méritant aucune considération. un texte de Ron Unz Né en Californie dans une famille juive, Unz a étudié à Cambridge et Stanford avant de gagner des millions grâce à une société de logiciels financiers. Certains d'entre nous se seraient retirés à ce moment-là pour profiter de la vie sans des activités plus ardues que la natation occasionnelle, mais pas Unz. Il a commencé à s'impliquer dans la politique. Unz s'est également forgé une réputation d'écrivain. Ses articles, pour des journaux et des magazines comme le Wall Street Journal et le Weekly Standard, étaient largement axés sur l'éducation, mais son essai le plus important et le plus controversé, pour la revue néoconservatrice Commentary " California and the End of White America". Il décida de tenir en ligne son propre site internet nommé Unz Review. En 2020, le site est considéré comme un site conspirationniste par les libéraux états-uniens et les médias grand public.
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