À
bientôt 70 ans, l’infatigable écolo en
hélico ne désarme pas. En 2009, son
film Home nous alertait sur l’état de la
planète, nous incitant à la protéger.
Il aurait été vu par 600 millions de
personnes. Avec Human, Yann
Arthus-Bertrand se demande pourquoi « on
n’arrive toujours pas à vivre ensemble ».
Le résultat est une
sélection de témoignages, tous sur le même
fond sombre, qui nous parlent de l’amour, de
la guerre, de la pauvreté, du bonheur, le
tout entrecoupé d’images vues du ciel.
Les quarante mêmes questions ont été posées
à plus de deux mille personnes dans soixante
pays.
La sortie s'est faite en
septembre 2015, avec ensuite une projection
devant l’assemblée des Nations Unies, une
autre à la Mostra de Venise, une sortie dans
les cinémas, et même sur Google. France 2
doit le programmer, puis à partir du
22 septembre, mairies, ONG et associations
pourront organiser gratuitement des
projections.
À
Reporterre, on s’est dit que ce nouveau film
événement était l’occasion de rencontrer
Yann Arthus-Bertrand, et de tenter de
comprendre pourquoi ce personnage consensuel
hérisse les poils de beaucoup d’écolos
convaincus. Entretien à bâtons rompus.
Reporterre -
Pourquoi sortir un film sur
l’humain alors qu’à la fin de
l’année c’est du climat que l’on
parlera, avec la Conférence de
Paris ? |
|
Yann Arthus-Bertrand
- J’ai assisté à pas mal de COP [« Conference
of Parties », c’est-à-dire les
conférences de négociations sur le climat de
l’ONU, ndlr], je filme la déforestation, la
glace qui fond, j’ai fait des films, des
émissions télé pour amener des solutions,
etc.
Je crois qu’on est arrivés
au bout de tout ça. Désormais on a
besoin de plus d’amour, plus de vivre
ensemble, de moins de cynisme et de
scepticisme. En fin de compte ça
rejoint l’écologie. C’est une façon
différente de regarder le cœur des gens,
tout simplement.
Votre film,
grâce à la force des
témoignages, est très touchant.
Mais au-delà de l’émotion, quel
est le message ? |
|
Le message c’est que c’est
toi qui vas changer le monde, personne
d’autre. C’est à toi de te sentir
humain, c’est à toi d’aimer un peu plus les
autres. Faut arrêter de toujours
demander aux autres de faire ce que l’on n’a
pas envie de faire. C’est ce que dit
Gandhi : « Sois toi-même le
changement que tu veux voir dans le monde. »
Aujourd’hui je pense que le
monde écolo est un monde de combat. Ce
n’est pas comme cela que je vois l’écologie.
Je la vois beaucoup plus amoureuse, et
pleine de bienveillance. On est dans
un monde un peu paranoïaque où tout le monde
cherche à se bagarrer les uns contre les
autres alors qu’on devrait s’aimer un peu
plus. J’écoutais la radio hier sur les
députés verts et ça m’horripilait, je ne me
sens plus en accord avec tout ça.
Parlons de votre
engagement écolo. Que
pensez-vous de l’énergie
nucléaire ? |
|
C’est dépassé cela, avec le
nombre de pesticides que l’on met tous les
jours dans les champs... Le nucléaire
chez les écolos c’est devenu une espèce
d’idéologie, je n’ai pas d’avis là-dessus.
Je ne suis pas pour le nucléaire mais je ne
suis plus autant anti-nucléaire qu’à une
époque.
Et à propos du
projet d’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes ? |
|
Que veux-tu que je te dise ?
On n’a pas besoin d’un autre aéroport.
Mais en même temps, est-ce que ça vaut le
coup de jeter des parpaings sur la gueule
des flics ? Est-ce que ça vaut la vie
de quelqu’un ? Non, je ne pense pas.
Vous avez travaillé pour
Roland-Garros. En ce moment, il
est question de détruire
une partie des serres d’Auteuil
pour agrandir les cours.
Qu’en pensez-vous ? |
|
Je n’ai pas d’avis
là-dessus. Je ne connais pas bien le
dossier. J’ai vu les serres qu’ils
allaient démolir. Ce ne sont que des
serres des années 70 qui sont très moches.
Je pense que ça aurait été beaucoup plus
malin de s’agrandir du côté du périphérique.
Mais il y a des choses beaucoup plus
importantes à défendre aujourd’hui dans
l’écologie que les serres d’Auteuil.
Le diesel dans Paris par exemple.
Il y a une espèce
d’idéologie écolo, et on reste sur des vieux
combats sans être capables de faire ce que
l’on doit faire. Cela me désespère.
Le changement climatique est en route et on
est incapables de réagir.
Il y a une belle mobilisation
sur le climat, quand même…
Lisez Reporterre !
(par
exemple là) |
|
La mobilisation ce n’est pas
l’action. Je me souviens au moment de
Copenhague, il y a eu une manifestation
contre le changement climatique, on devait
être deux-cents. Quelques semaines
plus tard il y avait des millions de
personnes dans la rue pour les retraites.
On n’arrive pas à mobiliser, on est dans un
déni collectif.
On a besoin d’une
révolution. Elle ne sera pas
politique, elle ne sera pas scientifique, ce
ne sera pas économique non plus, ce sera
spirituel. Ce sera par l’éthique et la
morale. Le jour où on aura un
changement de comportement personnel, ça
changera le monde.
En tant qu’écolo
cela ne vous pose pas problème
d’avoir travaillé pour le
Paris-Dakar ou pour Total ? |
|
D’abord à l’époque où je
faisais
le Paris-Dakar, personne ne parlait
d’écologie ou de changement climatique. Il y
avait beaucoup d’argent et ça allait à des
villages qui ne vivaient que quand la course
passait. Aujourd’hui c’est devenu une espèce
de machine médiatique, mais en même temps,
il n’y avait pas que du mauvais dedans.
Qu’est-ce que j’ai fait pour
Total, dites-moi ?
Des photos pour leur rapport
d’activités.
C’est vrai. Je voulais
absolument faire la Terre vue du ciel à
Bornéo et j’ai volé avec leur hélicoptère,
tout simplement.
Vous savez, il faut arrêter
cette histoire d’un côté les gentils, d’un
côté les méchants. Quand les gens
prennent leur bagnole et mettent de
l’essence dedans, personne ne se demande
d’où vient l’essence. Est-ce qu’elle
vient d’Arabie Saoudite, d’Irak, du
Nigeria ? Il y a un côté très faux-cul
alors que l’on vit avec le pétrole au
quotidien. Sans, le monde s’arrête.
Alors quelle est la solution, la
décroissance ? Oui, d’accord, je suis
pour vivre mieux avec moins.
La décroissance
suppose-t-elle l’abandon de
notre modèle économique
capitaliste ? |
|
Je n’ai pas
la solution, je ne sais pas.
Aujourd’hui tout le monde a une idée sur
tout ! Dans mon film, ce que dit le
président Mujica
( 01 ), est l’exemple même de ce que
l’on doit faire [L’ex-président d’Uruguay
explique dans le film que notre société de
croissance et de consommation ne nous
apportera pas le bonheur – NDLR].
C’est le seul homme politique présent dans
mon film d’ailleurs. C’est le seul qui
avait un regard intéressant.
Arrêtons de remettre tout le
temps la faute sur les autres, sur Total,
sur les lobbys, sur le nucléaire. Arrêtons
avec ça.
(Il s’agace)
J’aimerais que l’on parle de
mon film, s’il vous plaît.
Justement.
N’est-il pas contradictoire de
prôner la décroissance, mais de
financer votre film grâce à la
Fondation Bettencourt,
fondée par une des plus riches
familles de France ? |
|
Pas du tout, au contraire.
C’est formidable que la plus riche famille
de France finance un film qui prône la
décroissance. De toutes façons les
films sont financés par des banquiers
D’ailleurs c’est étonnant, je pensais
beaucoup me faire attaquer et vous devez
être la première personne qui m’en parle.
La fille Bettencourt est quelqu’un de
très simple qui a envie de faire des choses.
Quand je leur ai présenté le film j’étais un
petit peu inquiet. Et en fait ils
m’ont félicité, ils m’ont embrassé, ils
étaient contents.
Mais en
acceptant cet argent vous
participez au système que vous
dénoncez. Ne croyez-vous pas
qu’il aurait fallu trouver
plutôt des financements
alternatifs, par exemple ? |
|
Je ne comprends pas.
Je n’allais pas faire un kisskiss bankbank
pour faire ce film ! C’est une façon
que j’ai de travailler. Le cinéma ça
coûte de l’argent et il m’en fallait
beaucoup pour faire ce film, voilà. Il
faut respecter les gens qui te donnent de
l’argent pour faire le film que tu veux sans
aucune contrainte, c’est courageux.
Avez-vous
compensé carbone pour la
réalisation de Human ? |
|
Oui bien sûr. La
compensation carbone est un outil
formidable. Elle est toujours attaquée
par les écolos et je ne comprends absolument
pas. On a pu faire des milliers de
fours à biogaz en Inde, je trouve cela
vachement bien. Si tous les gens qui
prennent l’avion compensaient carbone ça
changerait le monde, ça ferait beaucoup
d’argent pour lutter contre la déforestation
dans les pays du Tiers monde !
Mais la
compensation carbone, cela
revient à payer plutôt que de
changer son mode de vie, non ? |
|
Mais puisqu’on ne change pas
nos modes de vie, il vaut mieux payer, non ?
C’est ridicule ce que vous dites.
« |
C’est ridicule ce que vous dites
- Yann Arthus-Bertrand |
» |
Qu’espérez-vous
que les gens vont faire après
avoir vu votre film, en sortant
de la salle ? |
|
Chacun fait ce qu’il
veut avec ce film.
Tout à l’heure une
journaliste du
Pélerin m’a dit qu’en sortant du film
elle les a appelées pour se réconcilier avec
ses filles.
Y’a le gars de
France
Inter qui m’a dit : « C’est drôle, parce
qu’en regardant le film je me suis demandé
qu’est-ce que j’ai fait de bien dans ma
vie ? »
Si ce film amène ces
réflexions là, c’est formidable.
Libération avait fait une quatrième
de couverture en me traitant de nunuche,
( 02 ) et c’est quelque chose qui
m’avait rendu furieux mais que j’accepte
aujourd’hui.
Donc votre film
ne porte pas de message
politique ? |
|
C’est toi qui le sais.
Si tu en trouves un, il y en a un. Si
tu n’en vois pas, il n’y en a pas.
Source:
Reporterre pour Hervé Kempf
03 ) |
Choix de photos,
mise en page,
références et titrage
par : JosPublic
Publication :
12 septembre 2015 |
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