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Des « essais aux champs », menés sur 84 sites différents à travers la province entre 2012 et 2016, ont démontré qu’il n’y avait pas de différence de rendement entre les parcelles plantées avec des semences traitées aux néonicotinoïdes et celles qui ne l’étaient pas, révèle cette grande expérience dirigée par la chercheuse en entomologie Geneviève Labrie. Par ailleurs, moins de 5 % des terres agricoles étudiées avaient un nombre suffisant d’insectes pour justifier le recours à une technique de lutte contre les ravageurs comme l’usage d’un insecticide. Or, au Québec, il était estimé qu’en 2015, les semences enveloppées de néonicotinoïdes étaient utilisées sur presque 100 % des superficies de culture de maïs et sur plus de 50 % des superficies de culture de soya.
Ces produits chimiques
sont ensuite lessivés dans les cours d’eau agricoles. En
raison de l’ampleur des superficies traitées, ils ont été mesurés à
des concentrations qui menacent les invertébrés aquatiques Dédiée à Louis Robert
Remis en question par l’industrie, ces résultats sont à la source d’une cascade d’événements qui secouent le monde agricole depuis 2018. L’étude publiée le 26 février 2020 est d’ailleurs dédiée au lanceur d’alerte Louis Robert. « Parce que c’est un homme qui a suivi ses valeurs profondes de vouloir une agriculture saine au Québec et qui a vraiment joué sa carrière pour essayer de défendre les intérêts de la recherche indépendante », a expliqué Mme Labrie. Fonctionnaire provincial durant 32 ans, l’agronome Louis Robert a été congédié pour avoir dénoncé l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les néonicotinoïdes, d’abord auprès de son employeur, puis en transmettant une note ministérielle à un journaliste de la CBC/Radio-Canada. Le document confidentiel alléguait que des chercheurs du Centre de recherche sur les grains (CEROM) avaient subi des tentatives d’intimidation de membres du conseil d’administration et de son ancien président, Christian Overbeek, « dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche ». Christian Overbeek est le président des Producteurs de grains du Québec, un syndicat agricole. Le CEROM est un organisme financé à environ 70 % par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). À l’époque de la médiatisation de l’affaire, 15 des 35 employés du centre, dont 7 chercheurs, venaient de démissionner. La recherche publiée par "PLOS One" est signée par cinq auteurs, dont trois scientifiques démissionnaires du CEROM.
Geneviève Labrie fait partie du nombre, mais puisqu’une enquête de la protectrice du citoyen sur la crise survenue au CEROM est en cours, elle a préféré ne pas revenir sur cet épisode. « J’ai démissionné pour des raisons d’éthique personnelle et professionnelle », a-t-elle cependant pu souligner. Un autre des coauteurs, Gilles Tremblay, est allé travailler comme agronome au MAPAQ après son départ du CEROM. Il a été suspendu par le Ministère au même moment où a eu lieu le congédiement de son confrère Louis Robert. À la suite du dépôt d’un rapport accablant par la protectrice du citoyen, Louis Robert a réintégré ses fonctions. Une commission parlementaire sur les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement avait été déclenchée dans la foulée du scandale. Pas juste les « néonics » Geneviève Labrie a dû demander ses droits d’auteur auprès du gouvernement du Québec pour obtenir le fruit de ses recherches menées alors qu’elle était au CEROM. « Pour l’argent qui a été mis là-dedans, le temps et les centaines de personnes qui y ont travaillé, il fallait que cette étude-là soit publiée », a-t-elle souligné. Il n’y a presque aucune étude sur la planète qui avait autant de sites et donc je suis vraiment très heureuse que ça ait pu être publié. Geneviève Labrie, qui travaille aujourd’hui au Centre de recherche agroalimentaire de Mirabel « C’est une étude qui a vraiment une valeur importante. Souvent, les producteurs agricoles ou les intervenants nous disent au sujet d’études menées en Europe : est-ce qu’on peut vraiment utiliser ces données-là pour nous ? Cette étude-là démontre clairement pour nos conditions à nous que ce n’est pas nécessaire d’utiliser des traitements de semence », ajoute la chercheuse. D’ailleurs, elle insiste sur le fait que ce ne sont pas seulement les néonicotinoïdes qui ne sont pas nécessaires dans l’écrasante majorité des cas, ce sont tous les insecticides, y compris les molécules de la famille des diamides. Ces produits ont commencé à remplacer les néonicotinoïdes dans les enrobages de grains. Depuis 2018, les agriculteurs qui veulent utiliser des néonicotinoïdes doivent obtenir une ordonnance d’un agronome. Cette restriction ne touche pas la famille des diamides. « Depuis qu’ils ont été homologués en 2016, on a vu une augmentation exponentielle dans les cours d’eau et ils dépassent déjà les critères de vie aquatique chronique dans certaines rivières », prévient-elle. Louis Robert fier et honoré
« Je suis évidemment très content que cette étude, à la base de mes démarches internes et publiques, soit finalement publiée, formellement, et dans un périodique aussi renommé. Les normes éditoriales et scientifiques de "PLOS One" surpassent toutes celles des périodiques scientifiques du secteur agricole. Le contenu était déjà connu en grande partie, mais tel que présenté ici, il est encore plus convaincant que lors des présentations passées. J’ai l’intention d’en faire un résumé pour aider sa diffusion auprès des agronomes de première ligne. […] Je suis aussi très fier et honoré de cette dédicace. » Réaction des Producteurs de grains du Québec « Nous prendrons connaissance avec intérêt des résultats publiés. Après analyse, nous nous assurerons de faire connaître les informations pertinentes à nos membres. Cela dit, notre position a toujours été favorable à une plus grande disponibilité des connaissances scientifiques vulgarisées pour le secteur des grains. Nous rappelons par ailleurs que le rapport final de la récente commission parlementaire sur les pesticides a recommandé que le gouvernement s’assure de la complémentarité entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, de manière à ce que l’industrie puisse être impliquée dans la recherche appliquée tout en pouvant mettre en valeur les résultats scientifiques de la recherche fondamentale. »
Extrait de l'article scientifique publié dans la revue "PLOS One": Les enjeux financiers sont énormes, puisque ces insecticides sont les plus vendus du monde. La quasi-totalité des exploitations de maïs québécoises en utilise, et plus de la moitié des cultures de soya, ce qui correspond à une superficie cultivée de plus de 600 000 hectares. Publier, malgré les pressions
« Je me suis battue », raconte la chercheuse principale Geneviève Labrie, qui a bien cru ne jamais pouvoir publier le fruit de sa recherche en raison d'un contexte difficile. Durant les cinq années qu'a duré l'étude, le travail des scientifiques a été critiqué par des représentants de l'industrie des pesticides et des producteurs de grains. Les chercheurs ont été l'objet de pressions au sein du Centre de recherche sur les grains (CEROM) administré par une majorité d'industriels, à l'époque, mais financé par des fonds publics. Plusieurs scientifiques du projet avaient fini par démissionner.
Extrait de l'article scientifique publié dans la revue « PLOS ONE » Après avoir réalisé des tests dans 84 champs de 6 régions du Québec, les chercheurs ont découvert que moins de 5 % des cultures de maïs et de soya ont un réel risque d'être visitées par des insectes ravageurs. Pour les autres, le risque n'existe tout simplement pas. Les traitements sont généralement utilisés sans que l'augmentation des risques d'infestation soit documentée
En 2017 et 2018, le ministère de l'Agriculture du Québec avait mystérieusement retardé la publication de résultats préliminaires de cette étude durant plusieurs mois, avant de les rendre publics à la suite de révélations de Radio-Canada. Sans cette publication, je n'aurais jamais pu récupérer mes droits d'auteur [à la suite de ma démission], raconte Geneviève Labrie. Cela lui a permis de poursuivre sa recherche en dehors du CEROM. Elle travaille aujourd'hui au Centre de recherche agroalimentaire de Mirabel. Parmi les autres auteurs de l'étude, on retrouve Annie-Ève Gagnon, ancienne du CEROM, aujourd'hui employée d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Plusieurs opinions, perceptions et même désinformations ont teinté ce dossier, explique la fonctionnaire fédérale. Cet article scientifique démontre clairement, avec des faits, que l’utilisation des néonicotinoïdes n’est pas justifiée dans la majorité des champs du Québec. Un autre des coauteurs est Gilles Tremblay, ancien du CEROM, aujourd'hui agronome au ministère de l'Agriculture du Québec. Celui-ci avait d'ailleurs été suspendu quelques jours, en même temps que Louis Robert.
Les néonicotinoïdes ne sont pas aspergés sur les champs comme d'autres pesticides. Ils enrobent les semences que les agriculteurs achètent, ce qui les rend indissociables. Des producteurs se plaignent d'avoir du mal à trouver des semences non traitées. S'ils sont inutiles au regard des rendements, ces insecticides ont un effet bien documenté sur le déclin des colonies d'abeilles. Ils menacent aussi les vers de terre, les oiseaux et les poissons. Le ministère de l'Environnement du Québec en a retrouvé dans la quasi-totalité de ses analyses de cours d'eau agricoles et ils dépassent la plupart du temps les critères de qualité de l'eau pour la protection des espèces aquatiques dans la plupart des cas. Des produits de remplacement aux néonics sont de plus en plus mis de l'avant par les fournisseurs de pesticides, mais ils ne sont pas nécessairement dénués d'impact sur l'environnement, selon Geneviève Labrie.
En 2018, l'Union européenne a interdit l'usage des néonicotinoïdes pour la culture en plein champ. Au Canada, le gouvernement est en réflexion depuis plusieurs années quant à leur interdiction complète, mais une décision se fait attendre. De son côté, le Québec aurait le pouvoir d'interdire ces produits sur son territoire, mais ça ne fait pas partie des recommandations de la commission parlementaire sur les pesticides et la santé publique publiées en février 2020. Depuis l'an 2019, les agriculteurs québécois doivent obtenir une prescription d'un agronome pour utiliser les néonics. Toutefois, une dérogation a été consentie lors de la dernière saison parce que les semences non enrobées n'étaient pas disponibles. Je ne vois pas comment l'Ordre des agronomes va pouvoir être pris au sérieux, dit Louis Robert, qui milite pour une séparation totale entre le rôle de vendeurs et celui de conseillers agronomiques.
C’est en ces mots que Louis Robert, agronome au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), a décrit aux députés membres de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) comment l’industrie des pesticides s’était immiscée ces dernières années dans le travail des agronomes et dans celui des centres de recherche publics du Québec, aidée par la diminution des ressources allouées à son ministère. Celui qui a contribué par ses révélations à ce que la CAPERN se penche sur la place des pesticides chez nous a livré son témoignage le 24 septembre 2019 en fin de soirée, au terme d’une journée qui aura vu défiler neuf personnes ou organisations au micro de la Commission. Selon M. Robert, le Québec réaliserait « d’énormes progrès en termes de réduction d’usage des pesticides» si l’industrie n’occupait pas la place qu’elle est venue prendre ces dernières années. « La réduction des pesticides, c’est l’un des objectifs officiels du MAPAQ depuis 1992. Il y a eu beaucoup de recherche, de transfert technologique et de démonstrations à la ferme durant toutes ces années-là, sans jamais donner de résultats concrets, et ce, pour deux raisons : à cause de l’ingérence des intérêts corporatifs et du manque de ressources du MAPAQ en transfert technologique », a-t-il dit en point de presse avant son audition. Défavorables aux subventions pour la transition bio La Commission a vu défiler jusqu’ici plusieurs intervenants favorables à une transition vers la culture biologique. Les députés membres de la CAPERN semblent aussi évaluer cette possibilité, ayant à maintes reprises fait référence à la visite de deux fermes biologiques – Agri-Fusion, de Saint-Polycarpe, et Les Fermes Longprés, des Cèdres – qu’ils ont réalisée le 10 septembre. De son côté, Louis Robert s’y oppose. « La majorité n’est pas prête, et ça imposerait un risque économique trop grand aux producteurs », a-t-il affirmé. Selon lui, des agriculteurs provenant de fermes conventionnelles ont déjà assaini leur bilan environnemental de manière « très intéressante » en adoptant des pratiques leur permettant d’utiliser moins de pesticides. M. Robert n’est toutefois pas favorable à l’octroi de subventions pour aider les producteurs dans leur transition vers de telles solutions de rechange, se référant à son « expérience du terrain » pour appuyer sa thèse. « Les plus beaux succès de transfert technologique dans des fermes se font généralement sans subvention, a-t-il dit. Les agriculteurs qui n’essaient une méthode que parce qu’ils voient une opportunité d’aller chercher quelques dollars sont les premiers à l’abandonner. » « Quand il y a un 20 $ qui traîne à terre, tu le ramasses », a pour sa part lancé l’agronome Odette Ménard, qui accompagnait au micro ses collègues Louis Robert et Yves Dion. Selon eux, en misant sur l’expertise des agronomes du MAPAQ et des clubs-conseils du Québec, il serait possible de réduire le recours aux pesticides en se tournant entre autres vers le dépistage, les suivis au champ, l’accompagnement, la rotation des cultures, le contrôle mécanique et les biopesticides. « Il y a présentement de nombreux résultats applicables à la réduction de pesticides que nous sommes capables de vulgariser pour les producteurs », a mentionné M. Robert.
La chercheuse Geneviève Labrie tient à dire qu'elle ne blâme pas les agriculteurs qui utilisent les néonics, le produit leur étant souvent présenté comme une assurance contre les pertes de récoltes. Elle estime qu'il manque un moyen rapide d'informer les producteurs de tels résultats scientifiques et elle aurait aimé que la commission sur les pesticides fasse des recommandations plus concrètes à ce sujet. Geneviève Labrie souhaiterait que les producteurs aient accès à des semences traitées au Québec plutôt qu'aux États-Unis ou ailleurs au Canada, et qu'ils puissent bénéficier gratuitement de conseils d'agronomes indépendants de l'industrie. La chercheuse rappelle que des solutions biologiques commencent à se développer pour lutter contre les insectes ravageurs. Par exemple, des études encourageantes démontrent que planter du sarrasin dans les champs de maïs permet de les tuer. Aussi, il existe un outil gratuit en ligne (Nouvelle fenêtre) pour les producteurs qui leur indique si leur champ est à risque.
Résumé de l’intervention de l’OAQ devant la Commission parlementaire sur les impacts des pesticides (CAPERN). Cinq représentants de l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ) sont venus affronter les questions des députés de la CAPERN, menés par leur président, Michel Duval. Au cœur des échanges : la place occupée par les agronomes liés aux entreprises dans la prescription de pesticides. « On fait souvent le parallèle avec le travail des médecins et des pharmaciens, a souligné Émilise Lessard-Therrien, députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue. Pourquoi ce n’est pas comme ça que ça se passe? » M. Duval a d’abord indiqué que « dans un monde idéal, ce serait la solution parfaite », avant d’ajouter que le gouvernement a supprimé de nombreux postes d’agronomes dans les années 1980, laissant les services-conseils passer entre les mains des entreprises. L’Ordre recommande d’ailleurs une «modernisation » de la Loi sur les agronomes afin de refléter « l’avancée de la science agronomique du 21e siècle ». L’OAQ demande aussi à ce que soient respectées les normes sur les bandes riveraines et qu’une compensation soit offerte aux producteurs pour le manque à gagner lié aux pertes des terres non cultivées. En résumé: L’Ordre des agronomes est en faveur de la séparation de l’acte de prescription des pesticides de celui de la vente de pesticides… mais seulement sur la facture du produit acheté par l’agriculteur.
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