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À mon avis, c’est très inquiétant, lance d’entrée de jeu Barry Husk, le président de BlueLeaf, une entreprise spécialisée dans la recherche en milieu aquatique.
Une stratégie en cinq versions
Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a modifié à cinq reprises, entre 2008 et 2018, ses critères d’intervention en matière d’algues bleu-vert. Depuis la dernière mouture, seuls les plans d’eau qui sont une source d’approvisionnement en eau potable, et qui ne sont pas déjà connus pour comporter des algues bleu-vert (cyanobactéries), sont échantillonnés après le signalement d’un citoyen. Une manifestation extrême du phénomène ou un plan d’eau transfrontalier, qui fait l’objet d’une entente officielle entre gouvernements, comptent parmi les autres critères d'analyse. Ils sont diligents quand il y a une question de prises d'eau potable pour les municipalités. Mais si c’est juste un lac de villégiature, qui a déjà été analysé par le passé, il ne sera pas inclus comme une nouvelle donnée. Il ne sera pas de nouveau analysé, déplore à son tour Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal. Au plus fort de la crise des algues bleu-vert, plus de 150 lacs échantillonnés par le ministère étaient touchés par une floraison. Il n’y en avait plus que 4 en 2017.
Le professeur dénonce les compressions « radicales » de Québec, qui a notamment mis fin en 2017 au programme ministériel de surveillance des algues bleu-vert. C’est inquiétant, mais c’est aussi dommage, parce que le Québec était en avance sur beaucoup de pays, rappelle-t-il. On avait pris beaucoup d’expertise. On était un peu visionnaire pour essayer de régler le problème. Et là, c’est plus une stratégie d’autruche : si on ne fait plus d’analyses, on n’a plus à rapporter de problèmes. Québec rétorque que sa réponse a été ajustée en fonction de ses observations passées. L’expérience acquise et les connaissances associées au risque à la santé publique ont permis une adaptation progressive de la procédure de gestion des épisodes au fil des ans, écrit un porte-parole du ministère de l’Environnement.
Une floraison peut produire des toxines nocives pour la santé, comme une irritation de la peau et des yeux ainsi que des maux de gorge. La consommation d’une eau contaminée peut quant à elle provoquer des maux de ventre et de tête, de la fièvre, des vomissements et de la diarrhée. Le foie et le système nerveux peuvent même être atteints. Les citoyens moins aux aguets
Prétendre que les citoyens sont suffisamment informés sur les algues bleu-vert est un couteau à double tranchant, préviennent les experts. Quand ils appellent le ministère, c’est qu’ils veulent avoir une confirmation : est-ce que ce que j’ai vu ce sont effectivement des algues bleu-vert? Les gens ne savent pas. Ce n’est pas évident à l’oeil nu, estime Sébastien Sauvé.
Les experts savent toutefois que le problème s'aggrave partout dans le monde. Si on avait gardé pendant dix ans le même niveau d'analyse au Québec, on aurait des données fantastiques, estime Sébastien Sauvé. Mais comme le niveau de suivi n’a pas été le même, c’est très difficile d’avoir une évaluation objective de si ça va mieux ou non.
Pire encore, croit Barry Husk, il est impossible de savoir si les efforts pour lutter contre les algues bleu-vert ont porté leurs fruits. Quel a été le résultat des 200 millions de dollars dépensés pour réduire ce problème de 2007 à 2017? Le problème a-t-il diminué? Impossible à dire, selon lui. On dirait qu’on est sur "arrêt" pendant que le reste du monde avance, déplore-t-il. Depuis quelques années, on dirait qu’on a perdu intérêt. Ce n’est plus la “saveur du mois”. Adopter un lac Alors que Québec délaissait l’analyse des lacs touchés par des cyanobactéries, l’Université de Montréal a lancé en 2016 la campagne citoyenne « Adopte un lac », afin d'échantillonner grâce à la contribution du public près de 500 lacs et cours d’eau à travers le Canada. Une algue naturelle, mais à contrôler
Les cyanobactéries, mieux connues sous le nom d’algues bleu-vert, sont présentes naturellement dans les plans d’eau, rappelle Sarah Dorner de Polytechnique Montréal. La professeure au Département de génie civil, géologique et des mines assure qu’elles sont même bénéfiques pour l’oxygénation de la planète, sauf quand un apport trop riche en nutriments mène à leur prolifération et à des épisodes de fleurs toxiques. L’agriculture intensive est notamment montrée du doigt. Le ruissellement et le drainage des terres agricoles transportent le phosphore et l’azote des engrais et des herbicides jusqu’aux plans d’eau. Il y a aussi la question des changements climatiques, prévient Sarah Dorner. La saison des algues bleu-vert commence au printemps et s’étire jusqu’à l’automne. Elles prolifèrent dès qu’il fait plus de 20 °C. Si on prolonge les périodes de températures optimales, ce qui est attendu avec les changements climatiques, on aura des proliférations pendant plus longtemps, explique la professeure. Elle s’attend d’ailleurs à une saison assez intense cette année.
Encore des zones d’ombre Avec les changements climatiques, davantage de plans d’eau seront donc contaminés. Le problème empire et n’est pas résolu du tout, se désole Sarah Dorner. Les experts sonnent l’alarme parce que les floraisons d’algues bleu-vert ne sont pas encore bien comprises. Ils ignorent par exemple ce qui stimule la production des toxines, qui les rendent dangereuses et potentiellement mortelles.
Un autre aspect, cette fois peu étudié au Québec, est la présence de cyanobactéries dans les rivières, ajoute Barry Husk de BlueLeaf. C'est un domaine dont on a peu ou presque pas de connaissances ici. Par contre, ailleurs dans le monde, les connaissances avancent, soutient-il.
Et les solutions?
Il existe des solutions, mais elles exigent un grand effort et ne peuvent pas se déployer du jour au lendemain, appuie Sarah Dorner. Une chose est certaine, selon Philippe Juneau, c’est que les algues bleu-vert « méritent encore d’être étudiées ». Si l’intérêt du ministère n’est pas aussi fort que par le passé, il souhaite à tout le moins que le financement destiné aux chercheurs soit toujours au rendez-vous.
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