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Sources: New York Times, OWNI, Le Devoir
Publications: 25, 27 juin 2011, 4 juillet 2011
Texte fusionné et commentaires par JosPublic
Publié ici: le 9 juillet 2011 |
Quoi que ses porte-parole puissent dire au grand jour, l'industrie gazière américaine, qui s'est lancée tête baissée dans l'exploitation du gaz de schiste, a du mal à tirer son épingle du jeu. Plusieurs acteurs de premier plan du milieu (hauts cadres, analystes, avocats, géologues) abordent avec une forte dose de scepticisme les prévisions de profits des exploitants de gaz de schiste, selon des centaines de documents internes de l'industrie gazière américaine obtenus par le New York Times.
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Ils dressent, derrière des portes closes, un portrait peu reluisant de l'avenir de la filière énergétique, des propos qui contrastent avec ceux que tiennent sous les projecteurs des médias les porte-parole de l'industrie gazière.
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« |
La rumeur dans le milieu des indépendants est que les grandes zones d’extraction des gaz de schiste ne sont qu’une énorme pyramide de Ponzi et que le modèle économique ne marche tout simplement pas |
» |
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Ce jugement sans appel n’est pas celui d’un militant écologiste : en bas de ce courriel révélé par le New York Times
( 01 ) figure la signature du très sérieux cabinet IHS Drilling Data,
( 02 ) expert en énergie. Au total,
ce sont des centaines de communications internes au secteur de l’énergie
( 03 ) que le quotidien américain
a publié le 27 juin 2011. Une somme qui restitue un inquiétant constat
( 04 )
: l’industrie des gaz de schiste repose sur des évaluations reconnues comme fausses.
Un mensonge gros de plusieurs milliards de dollars que les géants du secteurs tentent déjà de dissimuler pour éviter l’effondrement de la bulle.
« Le plus grand secteur économique à fonds perdus du monde » |
Étalés sur trois ans, les échanges portent sur tous les aspects de cette nouvelle industrie, et principalement sur les gisements du Sud-est États-Unis (Barnett shale et Haynesville shale). Premier problème, les réserves semblent avoir été surévaluées dès le départ. Là où les communiqués de presse et déclarations publiques du géant texan Chesapeake ( 05 ) revendiquent jusqu’à 50 ans de durée de vie pour les puits de gaz de schiste de la Barnett shale, certains géologues doutent que l’on puisse atteindre les 20 ans. Un géologue tente ainsi de prévenir un cadre de l’entreprise de ses doutes sur les évaluations dans un mail daté du 17 mars 2011
( 06 ) :
« |
Vous avez parfaitement raison de mettre en question la durée de vie des puits.
Nos ingénieurs évaluent leur potentiel à 20 ou 30 ans de production et, à mon avis, cela reste à confirmer.
En fait, je suis plutôt sceptique à propos du pourcentage de déclin de la production après la première année d’exploitation.
Dans certains cas, les puits sont excellents et produiront de grands volumes sur la période prévue mais certains s’épuisent rapidement |
» |
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Seul problème, « l’argent coule à flot pour profiter de cette nouvelle « nouveauté » que constitue ce secteur de l’énergie qui est
fondamentalement non rentable », comme le déclare le responsable du fonds d’investissement PNC
( 07 ) dans un courriel. En 2009, le leader
mondial du pétrole Exxon Mobile déboursait 41 milliards de dollars pour la start up des gaz non conventionnels XTO
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avant de remettre la main à la poche en juin 2011 pour acheter Philips ressources 1,7 milliard.
( 09 )
Pour ne pas rompre le cycle, certaines entreprises usent de ficelles très douteuses pour ne pas éveiller de doutes chez les investisseurs
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Bien côté en bourse, Chesapeake est ainsi identifié pour sa « comptabilité agressive », comme le relève une note de la
société d’investissement Argus dans une de ses analyses
( 10 )
. Pour se procurer du cash, la compagnie a ainsi recours à des « volumetric production payments », sorte de bons par lesquels elle commercialise sa future production gazière contre paiement immédiat.
Or, au lieu de marquer le gaz déjà vendu par ce procédé en dette dans ses bilans comptables, Chesapeake gonfle artificiellement sa production en le signalant comme stock.
Un gaz dont certains doutent seulement qu’il soit jamais produit… |
Refourguer les puits pour continuer de faire du cash |
Selon les données communiquées en interne que s’est procuré le New York Times, des puits très productifs existeraient donc parmi les 10 000 dont Chesapeake est propriétaire, mais ils seraient entourés de puits où la vente du gaz extrait compense à peine le coût des opérations.
Au Texas, certaines zones commencent déjà à montrer des signes d’épuisement, comme la région de Fort Worth, à l’Ouest de Dallas.
Dans la région, Chesapeake a acheté à tour de bras des droits d’extraction à des particuliers, jusqu’à 27 500$ par acre (environ 4m²).
Si le « boom » des gaz de schiste venait à faire pschit, l’économie locale pourrait s’effondrer plus vite encore que les cours de bourses des géants.
D’autant plus que les gaziers préparent déjà des options de repli.
Car la condition sine qua non de la rentabilité de ce business n’a toujours pas été remplie : seule une augmentation conséquente du prix des hydrocarbures permettrait de couvrir les frais d’extraction des gaz de schiste et les rendraient ainsi rentables.
Quand nous nous sommes intéressés pour la première fois à la question en novembre 2010,
(11) le physicien canadien Normand Mousseau (auteur du livre
« La révolution des gaz de schistes ») pointait un écart énorme qui ne s’est toujours pas comblé |
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« |
La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ [canadiens] le gigajoule ((1 gigajoule correspond à un sixième de baril de pétrole)) mais coûte à peu près 6$ le gigajoule à produire.
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Les données de production, fournies par les entreprises aux organismes de réglementation d'État et
examinées par le New York Times
, montrent que de nombreux puits ne sont pas aussi performants que ce à quoi s'attendait l'industrie.
Dans trois champs d'exploitation majeurs — Barnett au Texas, Haynesville au Texas et en Louisiane et Fayetteville en Arkansas —, à peine moins de 20 % des zones les plus prometteuses apparaissaient au bout du compte comme susceptibles d'être rentables dans les conditions actuelles du marché.
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La région de Barnett fournit l'étude de cas la plus fiable pour prédire l'avenir de la filière du gaz de schiste.
Les données indiquent que si la production des puits continue à décliner de la manière actuelle, beaucoup risquent de devenir financièrement non viables d'ici 10 à 15 ans.
Un examen de plus de 9000 puits, en utilisant les données de 2003 à 2009, montre que moins de 10 % des puits avaient permis de récupérer l'argent investi sept ans après le début du forage.
La publication de l'ultime texte de la série «drilling down» du New York Times intervient au moment où le gouvernement fédéral américain et les États envisagent de hausser considérablement les subventions destinées à l'industrie gazière dans l'espoir qu'elle fournira de l'énergie à faible coût pour les décennies à venir.
Mais si le gaz naturel se révélait finalement plus cher à extraire du sous-sol que ce qui avait été prévu, propriétaires fonciers, investisseurs et créanciers pourraient voir leurs investissements décroître, tandis que les consommateurs, eux, seraient confrontés à des factures d'électricité et de chauffage plus salées, fait remarquer le New York Times.
Deborah Rogers, une membre du comité conseil de la Federal Reserve Bank of Dallas, se rappelle avoir dit lors d'une conversation avec
Mine K. Yucel, économiste sénior à la Reserve.
«Nous devons immédiatement jeter un coup d'oeil attentif aux données des compagnes de gaz de schiste» après avoir entendu un discours par le directeur exécutif de la compagnie Chesapeake,
Aubrey K McClendon. Mme Rogers ancienne courtier chez Merrill Lynch, rapporte avoir commencé a étudier les données en 2009.
«Tout ceci ne balance pas», dit-elle, ses recherches démontraient que les puits se tarissent tellement plus vite que prévu que les exploitants sont dans une course financière pour rattraper leurs promesses aux investisseurs.
Elle s'inquiète des effets perturbants des pertes à envisager sur les investissements fait localement et de l'effet sur l'économie. |
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Richard K. Stoneburner, président et chef des opération de Petrohawk Energy, affirme que de regarder une formation de shale dans son ensemble pouvait mésorienter les estimations, car plusieurs compagnies ne forent que les meilleurs sites et au plus bas coût.
«En dehors de ses sites, vous pouvez forer beaucoup de puits qui ne réaliseront jamais vos attentes» ajoute-t-il. |
Un ancien dirigeant d'Enron ( 15 )
, à ce moment à l'emploi d'une compagnie d'énergie, a écrit en 2009
« Je me demande quand ils vont commencé à dire au monde que ces puits ne sont tout simplement pas ce qu'ils pensaient qu'ils seraient?
» Il ajoute
que « le comportement des compagnies de gaz de schiste lui rappelle ce qu'il a vu lorsqu'il travaillait chez Enron
» ( 16 )
Pour masquer ce problème, certaines sociétés ont ainsi envisagé de forer plus de puits pour masquer le manque de rentabilité
de ceux déjà exploités. Prévoyant l’effondrement, un cadre de la société de service pétrolier Schlumberger
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formule une solution encore plus cynique : il suffit de revendre les puits pourris à des gogos, « il y a toujours un plus gros pigeon », conclut-il.
Aucune hypothèse n’émerge sur l’issue de cette fuite en avant financière et industrielle,
sinon celle d’un cadre de Anglo-Energy Corporation :
« |
L’esprit de troupeau qui se manifeste face aux schistes s’achèvera peut-être comme la crise des subprimes |
» |
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Avec le SEC (l’autorité des marchés financiers américaines) sur les dents et les démocrates qui exigent désormais des comptes à l’agence de l’énergie sur ses évaluations des réserves, il se pourrait bien que cette dernière prédiction se trouve réalisée.
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