La saga du lac
St-Pierre a commencé en 1952, quand le Premier ministre du Québec,
Monsieur Duplessis, accorda, innocemment, l’ « autorisation » au
ministre de la défense canadian d’utiliser le lac St-Pierre pour y
effectuer des essais de munitions.
La
guerre de Corée
tirait à sa fin et la guerre froide débutait : le Canada devait
participer à l’effort de guerre mondiale contre les méchants
communistes. Les canons étaient fabriqués dans la
région de Sorel
et
les munitions dans la région montréalaise. Quoi de plus tentant que
d’envahir insidieusement une bourgade francophone…
Dépossession
Les agriculteurs de
Nicolet et de
Baie-du-Fèvre furent dépossédés, manu militari, de
leurs riches terres agricoles en échange de quelques dollars. Ainsi,
la plaine inondable de la rive du lac devint un des lieux
privilégiés des exercices militaires canadiens. La zone CYR 606,
couvrant environ 40 % du lac au sud de la
voie maritime, était
déclarée inaccessible aux utilisateurs (pêcheurs, chasseurs,
plaisanciers).
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Pour faire avaler la
pilule, le développement de l’emploi local prit son essor au fil des
ans pour atteindre jusqu’à 300 emplois au Centre d’essais et
d’expérimentation des munitions de Nicolet
(CEEM).
Accident mortel
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En 1982, un accident
mortel réveilla la population : un obus non explosé se retrouva sur
la plage à l’embouchure de la
rivière Nicolet. Un feu de camp
organisé par
la famille Gentès
vira à la catastrophe.
Une explosion
épouvantable : Pierre Gentès meurt et 9 blessés se retrouvèrent
victimes de l’innocence militaire. Le lendemain, la Défense
nationale eut l’outrecuidance de poursuivre ses essais sur l’île
Moras.
Cela prit 5 ans de débat juridique pour qu’enfin le Ministère
de la Défense reconnaisse sa responsabilité dans ce malheur.
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Mobilisation des
citoyens
En 1990, des citoyens
de Pointe-du-Lac se regroupèrent pour former le
G.A.R. (Groupe
d’Action pour la Restauration du lac St-Pierre). À 4 kms du CEEM, de
l’autre côté du lac, les vitres tremblaient, les cadres se
déplaçaient, la vaisselle voyageait dans les armoires à cause des
vibrations des nombreuses explosions des munitions.
Un lundi matin,
Céline Dion, qui logeait à la nouvelle Auberge du lac St-Pierre,
risqua de se faire réveiller à 8 h du matin.
Le propriétaire de
l’Auberge enjoignit les responsables du CEEM de faire taire les
canons ! Cela dura une semaine!
On interpella le Ministre de
l’environnement d’alors, M. P.H. Vincent qui refila les plaintes à
son homologue de la Défense nationale. |
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Après deux ans d’étude du dossier, on
décida de construire un énorme silencieux afin de ne plus
« déranger » les citoyens. En
1995, ce silencieux fut construit pour quelque 3 millions de
dollars. Mais il ne pouvait être utilisé que pour 10 à 15 % des
essais.
Les politiciens
interpellés
Le G.A.R. multiplia les
recherches pour découvrir l’ampleur du pot aux roses. Les médias
furent alertés : les reportages et de nombreuses lettres d’opinion
commencèrent à sensibiliser l’opinion publique.
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Les politiciens se
mirent de la partie.
Ainsi, en 1996, le député du Bloc Québécois,
M.
Yves Rocheleau déposa une pétition de près de 3 000 noms aux Communes
pour demander l’arrêt de toute expérimentation d’explosifs causant des vibrations dommageables aux
biens et aux personnes, qui nuisent à l’environnement des résidents.
Trois mois plus tard, le gouvernement répondait outrageusement en
expliquant que les canards ne se plaignaient pas (traduction
libre des arguments militaires : des
études environnementales n’ont décelé aucune répercussion nuisible
sur la flore et la faune attribuable aux essais et Le
Service
canadien de la Faune et
Ducks Unlimited considèrent que les
activités du Centre d’essais et d’expérimentation (CEEM) ne sont pas
nuisible à la vie aquatique).
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Le privé
se charge de poursuivre la destruction durable.
En 1998,
lors d’une restructuration des activités militaires de
ValCartier
(dont dépend le CEEM), le fabriquant de munitions SNC-TEC, filiale
de
SNC-Lavalin, à
Le Gardeur, est invité à faire lui-même ses
essais d’homologation en échange d’un contrat de 4 millions$ en sa
faveur. Conséquence sur l’emploi : cette privatisation fait tomber
le nombre d’employés à une trentaine.
Courageusement, les citoyens « David » poursuivirent leurs
recherches contre le « Goliath » canadian. Le 6 mai 1999, le G.A.R.
est invité à comparaître devant le comité permanent de
l’environnement et du développement durable à Ottawa en même temps
que la Défense nationale et Environnement Canada. Et là, coup de
théâtre : après 2 heures de délibération, les députés Clifford
Lincoln et Yvon Charbonneau proposent un moratoire immédiat sur
ces essais d’obus, dont l'utilité n'est pas
prouvée et dont les impacts négatifs n’ont jamais été mesurés
sérieusement. On ne pouvait pas
demander mieux pour cette première visite à Ottawa.
Ottawa réagit
timidement.
Six mois plus tard, le
ministère de la Défense annonçait la fin des tirs sur le lac
St-Pierre, mais la poursuite des tirs sur les 22 kms2 terrestres du
ministère. C’était une demi-victoire. Un Comité de Vigilance fut
créé en regroupant différents intervenants ministériels dans ce
dossier « explosif ». Durant 16 rencontres, les représentants du
G.A.R. durent poursuivre avec acharnement leurs revendications.
La
mise en place d’un système de gestion du bruit fut une vraie farce
qui favorise le fabriquant. Environnement Canada élabora deux études
sur la qualité des sédiments et sur la végétation de la rive sud du
lac. Cela coûta très cher (près de 2 millions) pour apprendre que,
pendant 48 ans, on y a tiré plus de 500 000 « projectiles » (selon
la terminologie pudique militaire). |
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Le champ de tir de Nicolet (1810
hectares), à lui seul, comporte 7 sites contaminés pour lesquels on
aurait dépensé durant les 3 dernières années 223 782 $ pour leur
restauration. Cela ne comprend pas les 95 kms2 (140 km2 selon
d’autres sources) du lac Saint-Pierre infestés par 300 000 obus dont
8 000 non explosés.
Curieusement, celui-ci est considéré, selon le
répertoire des sites fédéraux contaminés, comme
« Occupation sans
intérêt » alors que l’on y trouve des métaux lourds et des
substances explosives et qu’on y a fait des dépenses de 1 819 943 $
de 2002 à 2005 pour des études environnementales !
En cours de route, ce Comité de
vigilance accepta, à majorité des non-utilisateurs du lac,
l’installation de 52 bouées de signalisations qui « décorent », au
cours de l’été, le périmètre de la zone CYR 606, en désaccord total
avec les chasseurs, pêcheurs et plaisanciers.
En novembre 2003, une nouvelle
comparution au Comité permanent de l’environnement à Ottawa permet
aux maires de la rive Sud de réclamer la sécurisation du dragage de
la rivière Nicolet et des chenaux Landroche et Tardif. À l’heure
qu’il est … ce n’est toujours pas réglé. Un projet pilote pour l’enlèvement
des obus devait être effectué à l’été 2005. Mais l’armée a prétexté
le trop haut niveau d’eau appréhendé et sa trop grande turbidité
pour les plongeurs afin de reporter ce projet aux calendes grecques.
Dernier volet à cette saga
On a appris récemment que SNC-TEC
Lavalin était en pourparlers avec la compagnie américaine General
Dynamic afin de vendre sa fabrique de Le Gardeur.
L’inquiétude
s’est manifestée immédiatement dans la population : est-ce que les
Américains vont venir s’implanter au CEEM de Nicolet ?
Vont-ils
poursuivre ou augmenter les 10 000 tirs annuels qui se font toujours
sur les terrains depuis 2000 ?
Ou bien faut-il espérer que cette
transaction commerciale aboutisse, à terme, à la fermeture
définitive de la base, à sa décontamination et à sa reconversion en
zone écologique majeure et récréo-touristique accessible aux
citoyens et aux groupes de protection écologique, dans le cadre de
la
coopérative de solidarité de la Réserve mondiale de la biosphère.
Le développement de l’emploi pourra alors se faire, mais cette fois
ce ne sera pas pour la destruction durable !
Avant cela, la Défense nationale
gardera la responsabilité de décontaminer le site terrestre et de
récupérer les 8 000 obus non explosés. |
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Au cours de 16 ans de combat très
patient et déloyal, 17 honorables ministres fédéraux différents (9
à la Défense nationale et 8 à l’Environnement) ont été interpellés.
Les citoyens peuvent-ils espérer la fin de cette saga en profitant
du changement de garde à Ottawa ?
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