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La marche mondiale des femmes est commencée depuis des millénaires. Nous venons de très loin et nous ne sommes pas encore arrivées à destination. Il y a moins d'un siècle - un soupir dans l'histoire - les femmes n'avaient aucune identité: ni professionnelle, ni civile, ni politique, ni sociale. Pourtant, dès le commencement de l'oppression des femmes, dès le commencement des civilisations, des femmes sont montées aux barricades, au nom de toutes les femmes. Elles ont cassé les cages, elles ont ouvert les portes. De tout temps, des femmes ont parlé à voix haute malgré les baillons, des femmes ont écrit leur version du monde malgré les entraves, au nom de toutes les femmes. De tout temps, des femmes ont eu du plaisir malgré les interdits. De tout temps, nous avons eu la débrouillardise des opprimés. Nous n'avons jamais été muettes: on a ignoré notre parole. Mais rien ne nous arrêtait. Rien ne nous arrêtera. De tout temps, nous avons exercé un contre-pouvoir, dissidentes et subversives. Nous étions le petit peuple de l'ombre qui accomplissait sans relâche, avec un courage jamais reconnu, son exigeant travail de civilisation. Nous savons aujourd'hui que ce petit peuple besogneux de femmes est un grand peuple. Voyez le chemin que nous avons parcouru depuis moins d'un siècle. Voyez tout ce que nous avons gagné. Voyez comme nous vivons aujourd'hui la tête haute, à voix haute, dans la lumière... Voyez comme nous marchons encore plus vite aujourd'hui, malgré la fatigue, malgré l'exaspération, pour arriver à la seule destination possible: la reconnaissance de notre égalité...
la reconnaissance du travail colossal que nous avons accompli, gratuitement,
par amour...
Mais
faire le ménage de la civilisation, pour nous, est aussi peu gratifiant et
aussi bénévole que faire le ménage de nos maisons. L'esclavage des femmes a été vaincu, en grande partie, mais le sexisme, la misogynie et le mépris continuent d'empoisonner la vie des femmes et entravent l'évolution de l'espèce humaine. Sachez que l'esclavage est de retour, mais il n'ose plus porter son nom. Il s'appelle aujourd'hui néolibéralisme, mondialisation, sous-traitance, ouverture des marchés, capitalisme sauvage, performance, excellence, déréglementation. Sans leur demander leur avis, on compte sur les femmes pour gérer la pénurie, souvent fabriquée de toutes pièces, sur une planète où la pauvreté est le seul produit économique en croissance. Le virage ambulatoire, les coupures dans les systèmes de santé, la désinstitutionalisation et la montée de la droite affectent tout le monde, mais touchent beaucoup plus durement les femmes parce que leurs acquis sont récents et encore fragiles. Les technocrates de tous les gouvernements du monde appellent à la rescousse ce qu'ils appellent " les aidants naturels ", euphémisme pratique pour ne pas dire "les femmes ", pour ne pas reconnaître la maternité sociale qu'elles assument. Il est vrai que si on pouvait mesurer le taux de compassion, les femmes battraient tous les records du monde. Mais tous les êtres humains devraient être des "aidants naturels ", les uns pour les autres, sans distinction de sexe. La compassion n'est pas génétique, pas plus que la soumission, le silence et le mépris. De tout temps, les femmes ont exigé des réformes sociales et la reconnaissance de leur égalité. Mais les changements ont été d'une extrême lenteur pendant des siècles parce qu'elles n'avaient même pas le droit de voter. D'où cette interminable révolution, la plus pacifique peut-être, mais la plus longue de toute l'histoire de l'Humanité. En fait, les femmes ont inventé la révolution pacifique permanente. C'est peut-être ça, la vraie révolution. Nous faisons cette révolution comme des femmes. Le sang, nous préférons qu'il coule dans nos veines plutôt que sur les champs de bataille. Depuis toujours et même aujourd'hui, à l'ère des communications planétaires instantanées, les femmes doivent répéter jusqu'à l'écœurement ce qu'elles revendiquent. S'il y a une chose qui est vraiment mondiale, c'est la surdité! Pourtant, nous ne sommes ni un "lobby" parmi d'autres, ni un groupe de pression comme un autre. Nous sommes plus de la moitié du monde, nous sommes l'un des deux sexes fondateurs de cette planète et dorénavant nous exigeons d'être considérées comme tel. Chaque gain obtenu par les femmes a été arraché de haute lutte. Nul besoin de défaillir de gratitude. Nous exigeons simplement réparation pour la plus grande injustice jamais tolérée sur cette planète envers le plus grand nombre de personnes à la fois. C'est tout. Cette situation n'aurait jamais dû se produire. Nous attendons de recevoir seulement ce qui nous est dû, avec des excuses pour le retard et des remerciements émus pour notre patience. Mais nous n'avons plus de patience. Nous avons épuisé tout notre capital depuis longtemps. La Terre des hommes est aussi la Terre des femmes, la Terre des enfants, la terre des exclus. Nous savons qu'il faudra encore plusieurs décennies pour obtenir une véritable égalité. Mais la résistance augmente. Cette marche planétaire des femmes de 159 pays et territoires n'est pas un concours de beauté ou un spectacle médiatique. Les femmes, en l'an 2000 et pour la suite du monde, sont toutes des Miss Monde, des canons de beauté. Le monde est peut-être en désordre, mais il est à nous, en copropriété. Qu'elles soient écologistes, pacifistes, jeunes, aînées, artistes, universitaires, religieuses, lesbiennes, militantes féministes, militantes politiques ou militantes sociales, toutes les actions et toutes les réflexions des femmes sont utiles à tous les êtres vivants. Toutes les actions et toutes les réflexions des femmes se complètent, s'additionnent et réparent doucement le visage du monde à petites touches patientes. Nous voulons la paix. Nous voulons que chaque être humain puisse venir au monde, grandir, apprendre, aimer, vivre et mourir en toute dignité, en toute quiétude. Nous voulons que les femmes cessent d'avoir peur, cessent d'être battues, violées ou tuées du seul fait qu'elles sont des femmes. Nous voyons aujourd'hui des femmes de 50 ans, de 60 ans, de 75 ans qui sont violées. Ne dites jamais que c'est du désir incontrôlable. C'est de la haine. Incontestablement. Nous sommes obligées d'être solidaires pour affronter la résistance. Mais nous aimons être ensemble. Nous avons du plaisir à être ensemble. C'est le mode d'action des femmes. Nous avons la conscience aiguë que nous ne sommes pas seules sur cette Terre et que chacun de nos gestes a des conséquences sur tous et sur toutes. Sachez que nous ne négocierons pas à la baisse. Nous ne laisserons tomber aucune femme. Ni celles qui sont opprimées, voire tuées à cause de leur orientation sexuelle, ni celles qu'on vend, ni celles qu'on bat, ni celles qu'on mutile, ni celles qu'on prive d'éducation. Nous savons jusque dans notre chair qu'il est urgent de changer les codes, les règles, les relations, les jeux de pouvoir. Le travail de réparation des femmes est si profond qu'il pénètre jusqu'aux racines du déséquilibre entre les sexes. Il va jusqu'à modifier les règles invisibles de l'inconscient collectif.
Toutes les couturières du monde le savent: ce qui a été mal fait, il faut le
défaire et le recommencer.
...le
devoir de protéger les enfants contre tous les abus; En améliorant la condition des femmes, on améliore le sort de tous. "La cause des femmes, c'es la cause des gens". En neuf petits mots, cette phrase de Marie Cardinal résume tous les combats des femmes. Nous sommes extrêmement ambitieuses. Nous voulons rien de moins que changer le coeur du monde. Et ceux qui ne veulent pas nous aider parce qu'ils croient qu'ils ont quelque chose à y perdre, venez nous voir quand le travail sera terminé. La porte ne sera jamais fermée à quiconque à l'ambition de faire avancer l'Humanité tout entière.
Depuis 100 ans, nous avons marché dans la lumière des couleurs de Marcelle
Ferron, de Betty Goodwin. Nous avons dansé avec Françoise Sullivan, Marie
Chouinard, Margie Gillis. Nous avons écrit avec Gabrielle Roy, Simone
de Beauvoir, Margaret Atwood, Benoîte Groult, Anne Hébert, Françoise
Loranger, Marie Cardinal. Nous avons obtenu le droit de vote avec
Idola Saint-Jean, Claire Kirkland-Casgrain, Lise Payette. Nous avons chanté
avec Pauline Julien, Anne Sylvestre. Nous avons milité, manifesté dans
les rues, crié des slogans, porté des pancartes, levé le poing et défendu
les droits des femmes avec Juanita Westmoreland, Simone Monet-Chartrand,
Madeleine parent, Marie Two-Axes, Léa Roback. À toutes ces femmes anonymes qui se sont battues pour faire éduquer leurs filles, qui leur ont transmis la fierté et la dignité d'être une femme. À toutes les femmes qui vivent et se battent aujourd'hui. À toutes celles qui arrivent au monde et grandissent en ce moment, à toutes celles qui viendront après nous et continueront notre marche dans 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans. Nous ne reviendrons jamais en arrière. Nous sommes inflexibles, inébranlables, immortelles et dorénavant incontrôlables. Notre révolution est irréversible. Qu'on se le tienne pour dit.
Je vous salue, toutes les
Marie du monde
Hélène Pedneault
À l'instar des femmes de notre pays et des femmes des pays du monde entier, les femmes sont toujours en service. Même dans les pays les plus exploités, les femmes marchent pour remplir la cruche d'eau, pour cueillir la fleur ou pour pêcher le poisson. Un dynamisme les anime pour reprendre incessamment les gestes simples du «tragique quotidien». Il y va de la survie, de la vie sûre! Le vivre-ensemble, en sécurité, est la trame qui soutient tous leurs efforts. Mais pourquoi en notre temps les femmes veulent-elles encore marcher? Une mode ou une nécessité ? Une option ou une utopie? Qu'est-ce qui les anime? Les membres de la Coordination de la marche mondiale des femmes nous invitent tous les cinq ans à former une grande marche de solidarité avec les femmes de tous les pays qui veulent participer. Bien avant la marche du pain et des roses, les femmes manifestaient ou s'indignaient. La panoplie et l'originalité de leurs moyens n'ont d'équivalent que leur créativité! Si c'est une mode elle est indémodable et se transmet par la solidarité intergénérationnelle! Quant à l'option, c'est le parti pris des femmes envers elles-mêmes, décidées de prendre la place qui devrait leur revenir dès la naissance. Si c'est une utopie, si c'est un rêve, peu importe les définitions minutieuses, c'est la force qui nous fait créer le monde!
Denise Brunelle
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