Une de mes
phobies : retrouver mon pare-choc de voiture
éraflé. J’en vois souvent, des conducteurs
négligents qui accrochent impunément le
pare-choc de la voiture derrière eux.
Je remarque que beaucoup
d’entre eux font davantage attention à leur
pare-choc avant qu’arrière. Sûrement parce
que des composantes plus importantes se
trouvent à l’avant.
J’ose donc avancer que
l’idéal, pour éviter que ta voiture ne se
fasse malmener en ton absence, est de la
stationner entre deux voitures neuves,
luxueuses ou au moins récentes.
Plus de chances que le
propriétaire fasse attention.
La deuxième meilleure option
consiste à te stationner entre une voiture
récente et un vieux bazou, selon la
disposition suivante : la récente devant
toi, le bazou derrière.
Si le propriétaire du bazou
est négligent, c’est sa partie avant à lui
qu’il endommagera, pas la tienne.
Tu ne pourras pas dire que
t’apprends rien en me lisant. De rien.
Il y a quelques semaines,
remise en question de ma théorie. À deux
mètres de moi, un conducteur quitte sa place
de stationnement.
Il est au volant d’une
Porsche 911 GT3 RS. Derrière lui, une
Corolla.
La voiture recule, puis
avance, puis recule. En reculant pour la
dernière fois, le conducteur accroche la
Corolla derrière lui.
La Porsche s’éloigne. Avant
de disparaître complètement, quelque chose
me frappe : elle est plaquée F.
Une voiture plaquée F
appartient à une entreprise.
Quand tu vois une plaque F, dis-toi que
les coûts de location, d’essence et
d’entretien – lorsque la voiture est
utilisée dans le cadre du travail – sont en
partie déductibles d’impôt.
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Je pars toujours de la
prémisse que les gens sont bien
intentionnés.
Ma vie serait un cauchemar
sinon.
J’aime croire que le
conducteur déclare en bonne et due forme le
pourcentage d’utilisation
personnel-commercial qu’il fait de son
véhicule.
Ça ne me choque donc pas
tant de voir un bolide de luxe plaqué F, un
samedi soir à minuit, stationné devant un
bar où la musique est tellement forte que
tout le quadrilatère fait boum boum.
Tenons donc pour acquis que
tout conducteur de voiture de luxe plaquée
F – et Dieu sait qu’on en voit
beaucoup – est honnête.
La partie personnelle de
l’utilisation serait couverte par le
particulier, c’est correct.
Ce qui m’emmerde au plus
haut niveau, c’est la partie commerciale.
La partie commerciale est
admissible à des déductions fiscales. De
l’argent qui ne sera jamais perçu en impôt.
À mes yeux, c’est acceptable
lorsque la voiture en question est une van
de livraison ou une berline de milieu de
gamme.
C’est acceptable lorsque
c’est un véhicule raisonnable et pratique.
Cela dit, quelle compagnie a
réellement besoin d’une Porsche ?
Et je mets l’accent sur les
mots « réellement » et « besoin ».
Et pourquoi même la partie
commerciale me dérange ? Parce que ces
bolides peuvent consommer jusqu’à trois fois
plus d’essence que les voitures normales de
mortels. Et les coûts d’entretien sont
ridicules.
Par exemple, scénario
atypique, mais possible : la Porsche que
j’ai vue – s’il s’agissait d’une authentique
GT3 – est équipée de rotors en composite de
céramique.
Je sais ça parce que je n’ai
pas beaucoup d’amis.
Bref, un jour, il se peut
que l’entreprise propriétaire ou locataire
du véhicule ait à remplacer ces rotors. Le coût
:
4 500 $. Par
rotor. Au total, plus de 20 000 $ pour
changer des freins. Ce n’est pas une blague,
appelle Porsche et demande-leur.
Ce qui m’enrage, c’est
qu’une portion de cette dépense est
déductible. Peu importe le montant, petit ou
grand, même un sou, il s’agit d’argent dont
on prive notre société.
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On peut donc dire que les
contribuables paient – en partie – pour
faire rouler ces voitures de luxe plaquées
F. Ces voitures dont l’apport pratique à une
quelconque entreprise est
discutable.
Un avantage de plus offert
aux entreprises. Entreprises qui, seulement
au Québec, selon l’IRIS, ont 111 milliards
de dollars en réserve. Qui dorment en
banque.
( 01 )
Plus de 30 % du
PIB
québécois. Plus de trois fois le budget de
l’État.
« On coupe dans le gras »,
qu’ils disent.
On coupe 217 millions au
primaire et au secondaire. Dont 150 millions
dans des programmes comme l’aide aux
devoirs, l’aide alimentaire, le transport
scolaire.
On coupe 20 millions dans
les centres jeunesse qui, chaque année,
aident 32 000 jeunes vulnérables. Des
centres d’aide qui reçoivent
80 000 signalements d’enfants maltraités par
année.
Pas grave ; coupe.
Économies de bouts de
chandelles ; on est allés chercher 450 000 $
en coupant au
Conseil du statut de la femme.
On est allés chercher
60 000 $ en abolissant le concours
« Chapeau, les filles ».
( 02 )
Chapeau, les gars.
Honte à nous.
« On coupe dans le gras »,
qu’ils disent.
Non. On coupe sur l’os. Le
vrai gras, il sirote un espresso dans la
salle de montre du concessionnaire. En
attendant que ses freins soient changés.
« Les osties de BS »,
qu’on entend, lorsqu’il n’est pas requis
d’être politiquement correct.
On s’indigne : « Leur
alcool, leurs cigarettes ; avec mes taxes. »
Mais personne ne s’arrête
devant une criarde Porsche plaquée F et
s’exclame « avec mes taxes ».
On tape à voix haute sur le
pauvre. Le faible. C’est facile.
Plus risqué de taper sur le
riche. Cette noblesse à laquelle on aspire
parfois secrètement.
Alors on chuchote.
Fait que garde ça entre nous
deux, mais je préfère de loin subventionner
l’alcool du BS qui veut oublier qu’il est
pauvre, plutôt que de subventionner la
Porsche du gars qui veut nous rappeler qu’il
est riche.
Source: Journal La Presse
pour
Power Corporation du Canada |
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références et titrage
par : JosPublic
Publication :
19 novembre 2015 |
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