Une vision
prenant en compte les limites
Voici enfin, dans
la perspective d’une transition écologique inévitable qui soit
en même temps possible, voire désirable, un vrai programme
d’orientation des différentes activités humaines tenant compte à
la fois des limites de la planète (énergétiques, minières,
biologiques, temporelles), des contraintes générées par le
partage des ressources entre sept milliards d’habitants (ceux
qui préfèreront la guerre la perdront de toute façon), et des
handicaps cachés des nouvelles technologies (nommées High Tech
pour faire moderne).
Celles-ci
étant censées nous permettre de concilier l’inconciliable, à
travers la croissance « verte »,
les irrésistibles progrès de la science, la substituabilité des
facteurs et des processus de production par l’innovation
permanente, et autres mantras répétés par les grands prêtres de
la religion dominante.
Au sujet de
l’énergie, nous avons une fâcheuse tendance à ne prendre en
compte que l’énergie que nous consommons directement. Or
l’énergie « grise »,
demandée par l’extraction des matériaux, leur transport, la
production des biens, y compris celle nécessitée par la
construction des outils de production eux-mêmes, les emballages,
les livraisons, est parfois bien plus importante.
Certains
immeubles réclament pour leur construction des dizaines de fois
l’énergie consommée par saison de chauffe. Cette énergie
« grise »
peut d’ailleurs être mise en jeu en Chine ou ailleurs, et, quand
on intègre les importations et exportations dans les calculs, le
bilan-carbone de certains pays est beaucoup moins reluisant.
Quant aux limites
minières, l’équation est simple. Comme nous avons d’abord puisé
dans les gisements les plus riches et les plus accessibles, la
concentration des métaux recherchés baisse au rythme de notre
consommation exponentielle, ce qui exige donc de plus en plus
d’énergie pour l’extraction.
Le pic énergétique
des ressources fossiles, déjà amorcé, va donc provoquer par
ricochet un pic de toutes les extractions, mais les métaux les
plus abondants, comme le fer et l’aluminium, garderont une
disponibilité plus soutenable. |
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Projet Low-Tech. C’est en 2009 au
Bangladesh, sur le chantier naval Tara Tari
que travaille Corentin. Tout juste diplômé
de l’ICAM, il a l’idée de remplacer la fibre
de verre polluante par de la toile de jute
naturelle, économique et locale, pour
fabriquer la coque des bateaux.
Ici pour la suite
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D’où
l’intérêt de « basses
technologies »,
pas forcément issues des siècles passés, mais incluant le moins
possible de terres rares et de composants électroniques, dont le
recyclage est par ailleurs quasi impossible à cause de la façon
très désinvolte avec laquelle on les utilise.
Les limites
biologiques frappent évidemment certaines énergies
renouvelables. Le bois, déjà manquant en Afrique, ne suffirait
pas à nous chauffer selon notre train de vie actuel. Je tremble
quand j’entends parler de projets de chaufferies consommant par
an 100 000 tonnes de bois coupées dans un rayon de plusieurs
centaines de kilomètres pour faire de l’électricité, dont une
partie sera gaspillée en chauffage, pour lequel une calorie
émise au final exige trois calories d’énergie primaire.
A-t-on
oublié que les Européens se sont tournés vers le charbon fossile
parce que toutes les forêts exploitables avaient été rasées,
alors que l’industrie était à peine naissante ?
Philippe Bihouix
n’hésite pas à nous livrer des évaluations planétaires, qui, si
elles ne sont pas strictement exactes à la troisième décimale,
ont l’avantage de nous confronter à des ordres de grandeur qui
borneront très vite notre avidité.
Il n’oublie pas
non plus de soulever la question du renouvellement des
équipements dans la durée, que ce soit les téléphones portables,
les utilisations récurrentes qui consomment des métaux sans
espoir de recyclage (peintures, encres, alliages complexes), ce
qui en épuise d’autant plus vite les réserves, ou les gros
équipements, comme les centrales nucléaires (qu’il ne défend
aucunement), mais aussi les très grandes éoliennes, en passant
par l’industrie automobile, qui n’utilise que de l’acier de
première fonte.