Lorsque des
amis parlent
du monde qui
les entoure,
ils évoquent
souvent ce
qui ne va
pas, et ce
qu'ils y
changeraient.
On sent
l'invincible
puissance
du "tous
ensemble",
slogans
censés
évoquer une
masse
indivisible,
entièrement
tournée vers
un but
unique et
glorieux.
Mais dès qu'un
de ces amis
décide de passer
de la parole à
l'action, il
doit choisir
parmi plusieurs
options
politiques. Et
là,
curieusement,
tous ses anciens
amis se
détournent de
lui. Parce que
le
fonctionnement
politique d'une
démocratie
électorale passe
par un phénomène
entropique
formidable :
l'opinion.
Les opinions,
tout le monde en
a de
différentes,
d'autant plus
que beaucoup les
adoptent sans
trop y
réfléchir.
Toutes les
mettre sur le
marché permet
qu'elles se
combattent les
unes les autres
sans jamais
mettre en danger
le système de
domination en
place.
Les opinions
sont d'autant
plus efficaces
pour diviser
qu'elles
s'appuient sur
trois piliers
principaux :
l'individualisme,
la morale et
l'idéologie.
Il suffit pour
s'en convaincre
de suivre les
forums
d'opposants en
période
d'élections
présidentielles,
outre le fait
que ces
élections
octroient
beaucoup moins
de pouvoir qu'on
ne le croit
souvent au
candidat élu et
donc de
potentialités
d'agir sur le
système pour ses
électeurs.
-
l'individualisme
Tout le monde
prône l'union
contre le
système, la
résistance, et
un tas de
slogans qui ne
mettent pas en
avant le mode
d'action. Mais
concrètement, on
trouve un vote à
ma gauche, un
vote à ma
droite, un vote
blanc...
S'ils admettent
que le système
n'est pas bon,
ils vouent un
culte aux moyens
de sa
légitimation :
l'élection et
surtout la
liberté
individuelle du
vote. Et aucun
des candidats ne
décolle.
Les chrétiens
fondamentalistes
aux États-Unis
ne sont forts
que parce qu'ils
votent TOUS
républicain.
L'idéal est un
candidat
majoritaire avec
leurs voix et
minoritaire sans
elles.
Deux écueils :
Le premier est
que tout
candidat élu
gagne aussitôt
des soutiens et
peut ne plus
avoir besoin du
groupe considéré
pour conserver
la majorité.
Le second est
d'adhérer aux
partis
politiques, ce
qui contraint
presque
automatiquement
à un soutien
sans conditions.
Les lobbies les
plus forts
n'adhèrent pas
aux partis.
Ces deux écueils
sont d'autant
plus fréquents
la société est à
l'individualiste
et éclatée.
D'une part, il
n'y a pas
d'oppositions de
classes ou
d'intérêts dans
le débat
politique tel
que les
antisystèmes
puissent se
prémunir d'un
soutien
extérieur massif
à leur candidat.
Et surtout il
n'existe rien
d'autre pour
grouper les
intérêts des
antisystèmes que
d'adhérer
directement aux
partis.
Mais la plus
grande faiblesse
des antisystèmes
est leur refus
de la discipline
de groupe. Et
comme ce refus
forge souvent
leur identité,
ils sont
condamnés à
échouer.
- l'idéologie
Les idées
claires sont
importantes. La
rigidité
idéologique
assure elle un
clivage
définitif entre
des groupes dont
aucun n'est en
mesure d'exercer
le pouvoir.
Ainsi l'ennemi
principal d'un
militant
anarchiste est
le militant
trotskyste, dont
il n'a de cesse
de dénoncer les
turpitudes.
L'immense
culture
politique du
Courant
Communiste
International
(CCI) leur
permet avant
tout de dénoncer
le
déviationnisme
de la Ligue
Communiste
Révolutionnaire
(LCR), sans que
l'on n'y
comprenne
goutte. Grâce à
l'idéologie, "ce
qui nous divise
est plus
important que ce
qui nous
rassemble."
- la fausse
morale
La morale en
politique a des
liens étroits
avec la rigidité
idéologique. Là
où l'idéologie
sert à diviser
les obédiences
proches, la
morale sert à
dénoncer les
courants dont on
se trouve plus
éloigné sans
avoir à faire
l'effort de les
comprendre.
Ainsi, si sur
des bases
antisystèmes
proches, l'un
fait le choix
stratégique
d'intégrer le
Front National
(FN), et
l'autre, sur une
base plus
idéologique,
choisit le Parti
Communiste
Français (PCF),
ils sont
condamnés à ne
plus se parler
autrement qu'en
s'insultant.
"Tous ensemble",
d'accord, sauf
avec - au choix
- les
rouges-bruns,
les
nationalistes,
les extrémistes,
les droitiers,
les gauchistes,
les plus
infréquentables
que soi, etc.
Grâce à ces
trois piliers,
le système
s'assure de la
division de ses
adversaires,
qu'ils
confondent
l'action
politique vraie
(qui change les
choses) avec le
droit de
présenter ses
idées, le débat,
la spéculation
intellectuelle
et le cirque
électoral.
Dans 100 ans, si
le monde est
encore là, le
dit système
n'aura jamais
été mis en
danger. Des gens
se présenteront
encore aux
élections, avec
pour perspective
de passer de 2 à
2,5% des
suffrages
exprimés, ce qui
de leur point de
vue constitue un
grand soutien
populaire pour
le changement.
Celui qui veut
avancer
spirituellement
se méfie des
opinions
prédigérées, et
surtout ne
s'illusionne pas
sur la
possibilité de
changer le monde
par la
politique.
Mais être lucide
ne doit pas
conduire à
l'inaction. Il
n'est pas
nécessaire
d'espérer pour
entreprendre,
disait Guillaume
d'Orange.
La spiritualité
de gauche (le
monde peut être
amélioré) et la
spiritualité de
droite (le monde
est mauvais, ET
n'essayons pas
de le changer
car cela ne peut
qu'aggraver les
choses.) sont
également
fausses. Le
monde est en
grande partie
mauvais, et il
est largement
illusoire de
penser que nous
pouvons le
changer. Mais ne
pas essayer
conduit à
l'ennui, et
l'ennui étant le
père de tous les
vices, il
conduit à la
collaboration
avec le système.
Alors que
l'expérience de
l'action permet
de grandir
spirituellement
et d'aider les
autres à le
faire bien plus
sûrement que de
rester dans sa
chambre à lire
les philosophes
et les
ésotéristes.
D'ailleurs,
l'économie est
une excellente
école de
quatrième voie.